QUOI? Comment ça?

Ce fou de Putin a traversé la frontière de l’Ukraine avec ses chars d’assaut, ses bombes, ses lance-roquettes, ses avions de combat, en dépit de ses engagements internationaux, en dépit de toute humanité, en dépit du fait que personne ne lui a jamais déclaré la guerre, et on peut pas l’arrêter?

Ce parano de Putin est en train de tuer des centaines, des milliers, des millions de gens sans doute sous prétexte que… – sous quel prétexte, d’ailleurs, c’est franchement nébuleux et fabriqué de toutes pièces –  et on ne peut pas l’arrêter?

Des milliers d’enfants seront déplacés, à jamais brisés par la mort de leur père, sa disparition ou son infirmité, par le chagrin de leur mère, par la faim, la soif, la fatigue et on ne peut rien faire?  On ne peut arrêter le responsable de cette horreur? On ne peut pas? Pourquoi ça? Parce qu’il est le plus fort? Hein? Pardon? Qu’est-ce que vous dites?

C’est quoi, ce monde dans lequel nous vivons, que nous avons construit, si personne d’entre nous ne peut arrêter les meurtriers en série, les despotes, les tyrans, les nouveaux Hitler, Mussolini et Staline (et j’en oublie plusieurs, qui vivent entre autre dans les pays africains), c’est quoi, ce monde ?

C’est quoi?

 

Trop tard?

Quand on a passé la septantaine, il faut se rendre à l’évidence d’une réalité douloureuse, celle qu’il est désormais trop tard pour réaliser certains projets, pour poser certains gestes ou pour atteindre certains objectifs. Par exemple :

Quand on n’est pas scientifique, vaut mieux attendre à une prochaine vie pour vouloir un Nobel en chimie – mais on peut toujours potasser le livre de chimie de son petit-fils qui étudie au CEGEP, en espérant que ledit livre ne soit pas écrit en anglais.

Quand on n’a pas eu d’enfants issus de son propre corps, vaut mieux y renoncer pour le reste de ses jours, vraiment-vraiment – mais on peut toujours adopter temporairement, et pour certaines périodes limitées, ceux des autres.

À ceux qui n’ont pas pu devenir astronautes, je suggère de mettre un casque protecteur et de se laisser balader par un jeune de 18 ans pressé de se rendre en moto à un Rave, ça leur donnera une idée de ce à côté de quoi ils ont passé et leur enlèvera peut-être leurs regrets.

Pour écrire un best-seller, il n’est pas trop tard, mais faudrait commencer à travailler illico en utilisant la recette suivante : beau gars + belle fille + obstacles naturels (comme forêts, ravins, guerre et radio-activité en goguette, c’est tendance), + espion russe (facile, au moment où on se parle) + arme de poing + président débile qui aime dictateur (inspiré de la vraie vie), ne pas oublier sexe débridé (comme dans les rêves de leur adolescence) et fin explosive. Mélanger, ajouter un peu de curcuma et de gingembre pour le goût, et de soda à pâte pour la digestion. Bonne chance !

Pour devenir riche et connu, il faut vite causer un scandale en demandant des sous sur FB pour une cause factice, en acceptant à l’avance que le stratagème ne fonctionne pas aussi bien que ceux de camionneurs qui, pour protester contre une « dictature sanitaire », vont manifester -librement et en chantant-, et bloquent -librement et en chantant- durant des semaines les déplacements de tout le monde autour d’eux.

Pour apprendre à courir un marathon, à lancer du javelot, à faire du patinage artistique, à devenir avaleur de feu ou de sabres (quoique…), directeur artistique d’une compagnie (sans le sou, naturellement), il est sans doute trop tard, mais pas pour apprendre à danser en ligne. Réjouissez-vous, sauf que ça ne vous donnera pas de talent si vous n’en avez pas.

Trop tard pour… pour quoi d’autre, au juste?

Faire de la planche à voile, monter l’Everest, marcher toute la Muraille de Chine (qui est en petits morceaux sur une bonne partie de sa longueur, rappelons-le), devenir pianiste de concert ou chanteur populaire (à moins qu’il y ait une émission de Star Académie pour les vieux, ce dont je doute), trop tard, donc, pour tous ces projets qui demandent des années de travail avant de se réaliser.

Compris?

Mais il n’est pas trop tard, jamais trop tard pour planter des arbres , faire son potager -même si le sol nous apparaît de plus en plus bas-, nager à la mer, mettre de la crème solaire, préparer des festins, donner à des institutions charitables, sauver des chats, des chiens et des baleines, rire avec nos amis ou se chagriner de leurs maux, apprendre tout ce qu’on veut, marcher partout où on veut, prendre parti pour la démocratie, manifester pour l’écologie, acheter et lire de bons livres, consommer local, encourager les plus jeunes et leur dire que ce n’est pas si mal, vivre jusqu’à la septantaine. Leur dire ça et le leur souhaiter. Le leur souhaiter de tout coeur ainsi qu’à leurs enfants. Pas trop tard non plus pour acquérir à la fois un sentiment de l’importance primordiale du présent et une sorte de goût d’éternité dans ce présent. Pas trop tard pour essayer de découvrir encore et toujours la réalité de nos vies sur cette planète et la valeur de l’entr’aide, de la solidarité, de l’écoute, et, à l’opposé, s’indigner de la recherche obtuse du pouvoir, de la guerre, de la cruauté,  du radicalisme, du racisme, du harcèlement, de la violence et du despotisme.

On peut tout de même faire beaucoup, non, à la septantaine? 

Rendez-vous dans quelques années, où on se parlera de nos quatre fois vingt ans. Je l’espère, du moins.

 

 

 

 

 

48 heures

Si on vous demandait – ou si vous vous demandiez – quelles sont les 48 heures les plus marquantes de votre vie, que répondriez-vous?

Y a-t-il 48 heures qui ont vraiment changé votre vie, qui ont été un tournant, une pierre d’assise, un rempart, une destruction majeure, un cataclysme affreux ou un événement d’une douceur jusqu’alors méconnue, si troublant qu’il vous chavire encore aujourd’hui, un 48 heures que vous voudriez raconter à tous – ou surtout pas à qui que ce soit, même pas à la personne la plus proche de vous – un 48 heures de feu, de gaz et de sang, un cocktail Molotov dans vos fondations, une inondation de pleurs ou une cascade de rires qui vous font encore trembler, une rencontre amoureuse si intense que vous en avez encore des frissons?

Il me semble que tout le monde a connu ce 48 heures-là. Ça peut être seulement un long deux jours durant lesquels vous avez été seul.e devant la mer et que, pour la première fois, vous vous êtes laissé.e.s bercer par sa rumeur constante, ou alors celui où vous êtes allé.e au chevet d’une tante mourante, qui a repris conscience seulement quelques minutes pour vous regarder avec un sourire si lumineux qu’il vous semble avoir compris, un instant tout bref, la vraie nature de la vie humaine sur terre – et vous l’avez gardée en mémoire depuis.

Ça peut être la première fois qu’une personne a lu un de vos textes et que vous étiez tellement retournée de la réception chaleureuse du public qu’il vous fallu deux jours entiers pour vous en remettre et que vous n’avez pas dormi une seule minute durant ces deux jours.  

Ça peut être ce séjour que vous, étudiant.e de 18 ans, avez fait chez vous,  pendant lequel il vous est apparu – enfin – que vos parents n’étaient pas seulement vos parents mais de vraies personnes entières, avec des pensées qui ne tournaient pas toutes autour de vous et des destins qui s’éloignaient déjà du vôtre. C’était votre entrée dans l’âge adulte.

Ça peut être ce moment, et il a encore une odeur, celui-là, où vous vous êtes rendu.e compte que vous étiez tellement rigide et tendu.e que, malgré votre désir, vous ne pouviez ni vous pencher si humer la fleur que vous aviez à vos pieds et que vous avez décidé de faire du yoga, de la danse, des arts martiaux, tout, n’importe quoi, et que vous avez mis deux jours pour vous inscrire partout partout, dans l’idée bien arrêtée d’être capable de vous plier jusqu’à terre pour sentir et toucher les fleurs – même les plus petites – et l’herbe et les cailloux jusqu’à vos 90 ans.

Ça peut être ce moment terrible, qui en suivait un autre encore plus terrifiant, durant lequel vous avez compris qu’il ne fallait pas que vous mettiez fin à vos jours malgré votre cruel mal de vivre parce vos enfants avaient besoin de vous pour grandir. Il vous a fallu 2 jours, l’un pour monter, et l’autre pour  redescendre de ce promontoire d’où vous aviez pensé vous jeter.

Si on vous demandait, vous, quelles sont les 48 heures les plus importantes de votre vie, que répondriez-vous?

Nos vies sont pleines de moments marquants. Quelquefois, c’est nous qui les provoquons, d’autres fois ils surgissent devant nous, bon ou mauvais, agréables ou odieux, et il faut faire face ou se cacher, sauver sa vie, sa peau, abandonner de gré ou de force sa vie d’avant et se glisser, s’insérer ou être catapulté.e dans une vie nouvelle, celle qui s’est dessinée après ce 48 heures. 

Et ne me dites pas que vous n’avez rien connu de tel. Regardez un peu, un tout petit peu derrière vous. Allez, courage. C’est pour vous, pas pour moi. Mais, si vous me le racontez, ça me ferait plaisir.

 

 

 

De la relation entre la curiosité et les genoux

Suis étendue sur mon lit, à me reposer un peu, et soudain me vient une impulsion. Ma voisine s’est construit une maison à quelque 200 mètres de chez moi et j’ai bien envie d’aller y jeter un oeil, surtout qu’elle l’a juchée sur un promontoire, qu’elle y a ajouté une plate-bande dernièrement et qu’elle est sensée y avoir installé enfin ses électro-ménagers. Sans compter qu’elle est absente en ce moment et que je pourrais tout examiner à loisir sans avoir à saluer et jaser de choses et d’autres. Très curieuse, je suis, de ce qu’elle a apporté comme améliorations à sa construction – qui s’étire depuis nombre d’années- et à son aménagement paysager.

Mais voilà que, toujours étendue, me monte une douleur aux genoux dont mon corps se fait une spécialité depuis quelques temps. Ça fait suffisamment mal pour que je me demande quand ça cessera.

Me revient en tête la vision de la maison, et je me rends compte que mon impulsion a diminué d’intensité, que ma curiosité, si vive il y a quelques instants, a fondu comme neige en mars, puis en avril. Mes genoux élancent, je pense à me mettre debout, je manque de courage, j’y renonce pour l’instant, et je constate sans tristesse que mon envie d’aller voir s’est effritée en tout petits morceaux, en poussière, en rien du tout.

Quand on est enfant, on court, quand on est adulte, on avance (ou on essaie) quand on vieillit on choisit où on va. Et, des fois, on n’y va pas du tout.

Fumée

Un thé Tchai

Qui fume

Trop

Sur ma table

Mes bagues

Qui brillent

Sous l’abat-jour

De ma table

Ma théière cassée

Ma tasse tachée

Mes yeux bandés

Et ma table

Sur quoi tout rancit

Repose s’étale

Pour rien parce que rien

D’intéressant

Énumération

Il y en a qui écrivent comme on remonte à force de bras l’eau d’un puits, avec effort, acharnement, entêtement, espoir
Il y en a qui écrivent comme on rejette son eau trouble dans une source claire
D’autres qui écrivent sans savoir que les mots sont des lames aiguës, aiguisées, et qui tournent le dos quand les couteaux ont frappé
Il y en a qui écrivent en roulant des épaules, convaincus qu’ils flottent au-dessus des épinettes de nos têtes
Il y en a qui écrivent comme on se gargarise, ça renâcle, ça crachote, ça toussote mais ça ne sert à rien
Il y en a qui écrivent comme on cueille une goutte de rosée un matin d’automne froid, avec parcimonie, en frissonnant, avec respect pour la promesse d’un jour nouveau, d’une eau nouvelle
Il y en a qui écrivent comme on descend un fleuve, avec rapides, boues, tourbillons et bouillons d’écume
D’autres qui écrivent comme on tend une main ouverte, paume offerte, au vent qui passe
D’autres, enfin, qui déambulent à travers les mots, les assemblant en une courtepointe bigarrée
Il y en a, il y en a
Il y en a
Et il y a moi
Et mon goût de terre
De sillons
De semences
De soins
Qui, comme plusieurs, veut servir
Qui quoi quand comment
Rien, tout. Vous.
Tout ce qui vit, souffre, entend, sent, pense, agit et réagit
Tous les univers visibles et invisibles de nos âmes dans la tourmente, le froid, l’illusion, le vide et le plein.

Opéra insupportable

Je cherche
un cor tibétain
un violon chinois
une viole mongole
un crissement de cordes éraillées
des cris proférés

des cris sans douleur
des cris sans sons
des cris muets comme des ombres
des cris du fond des âges
ceux des esclaves, des mourants-de-faim, des morts à la guerre, des violés, des révoltés, des assassinés, des amoureux abandonnés

J’entends ces cris
dans ma mémoire
celle du fond des âges
celle d’avant avant
ils explosent
mon haut-parleur

Si je pouvais
avec la viole tibétaine
le violon mongol
le cor anglais
rassembler ces cris
si je pouvais

j’en ferais un opéra insupportable
inécoutable
injouable
définitif
comme la mort
sans rémission
sans répétition

Puis le silence.
et le silence
et le silence

Aujourd’hui

Intense
brumeux
temps de pluie
temps de vent
tant de vent
vent de temps
d’antan

Les rameaux s’étirent se tordent
geignent
pluie de pluie
tant de temps
tant de vent
vent de pluie
vent tordant

le temps ne vieillit pas
le vent de faiblit pas
il s’essouffle il s’affaisse
il chuchote il grommelle
la vie n’a pas de sens
le vent n’a pas de sens
le temps n’est qu’au présent

Ma tête

Je me sentais tellement bien ce matin que, quand je me suis regardée dans la glace pour me coiffer, j’étais tout étonnée d’avoir les cheveux blancs.

Petit guide pratique pour élargir la perception et la conscience

Disons. Mettons qu’un jour vous voulez élargir votre conscience de l’univers. Mettons.

Commencez par regarder vos pieds. Puis, cessez de les regarder et sentez-les sur le sol, n’importe quel sol: gazon, pierre, herbe, roche, bois – mais vous l’identifiez, ça va de soi.

Puis, imaginez la terre sous cet appui. La terre sous le plancher, l’herbe, le béton ou le bois, qui ne sont que des surfaces sans profondeur. Allez dessous. Allez. Voyez les vers de terre, les insectes en dormance, ceux qui se nourrissent des racines, appréciez les cailloux, le sable, l’eau infiltrée, puis, plus bas, les cavernes peut-être, le roc. Allez encore plus loin dessous. Encore plus loin. À des kilomètres dessous. Puis des milliers de kilomètres. Jusqu’à l’autre côté de notre boule, si loin dessous que ça devient loin devant et loin derrière.

Ça y est? Vous êtes rendu en Chine, en Australie?

Maintenant que vous avez les pieds bien déposés sur notre planète, regardez devant vous. Sentez l’air sur vos bras, vos jambes, votre visage. Sur toute votre peau, directement ou à travers vos vêtements. L’air qui fait pression. Un peu. Et qui pénètre dans vos narines et vos poumons. Puis l’espace. Vous aspirez l’espace, en fait. Le lieu où tourne notre planète, ses pollens, ses odeurs, ses nuages, les tempêtes qui s’y préparent, ses âmes errantes (si vous y croyez), ses engins spatiaux, ses déchets spatiaux aussi, ses satellites, sa couche d’ozone, sa lune, le soleil, les trous noirs, les étoiles, notre galaxie…

Il faut un peu de temps et de concentration pour embrasser toute notre galaxie d’un seul souffle, mais on y arrive. Vous êtes partie de cette galaxie-là – et des autres aussi, ne vous en faites pas. Vous, ce souffle minuscule de vie, vous respirez l’immensité, c’est elle qui s’insère dans vos cellules. L’immensité.

Votre conscience vient d’éclater. Elle se projette dams l’infini, un instant au moins.

Et vous souriez. Vous souriez, n’est-ce-pas?