Fredonner dans le vent

Tu ne saisis pas?

Tu ne peux pas comprendre.

 

Tu ne peux pas avoir l’amour,

Ni la félicité,

Ni l’illumination,

Ni l’espace.

 

Tu es cela.

 

Tu ne saisis pas?

Tu ne peux pas comprendre.

 

Le JE qui veut

La révérence, la flèche et l’œil de bœuf

Sont un même esprit.

 

Monica Hathaway, trad. Maryse Pelletier

Lâchez prise!

Laissez aller! 

Soyez présent avec spontanéité.

Parlez librement. 

Même les mots

dont vous ignoriez la présence

jailliront d’un trait de votre bouche.

Lâchez prise!  

Écoutez avec spontanéité.

Ce que vous allez entendre se déposera

sur le sol fertile de votre compréhension.

Monica Hathaway, traduction de Maryse Pelletier

Tout enlever

Il est dit qu’on est faits à l’image de Dieu, qu’on chausse ses souliers.

Est-ce que ces souliers nous vont, ou s’ils nous écorchent les talons?

Qui a fait ce Dieu à l’image duquel nous sommes faits?

Oh chers amours, vous tous qui n’êtes pas faits à l’image de Dieu,

Êtes mes âmes sœurs.

 

Monica Hathaway, traduction de Maryse Pelletier

Les loups et nous

Un de mes conjoints disait à qui voulaient l’entendre : L’homme est un loup pour l’homme.

Je pense que c’est faire injure aux loups que de comparer leur comportement au nôtre. Sérieusement. Qu’ils sont loin, très loin d’être aussi cruels, irresponsables et destructeurs que nous, les hommes. Qu’eux, au moins, respectent leur habitat.

Photo

Je suis persuadée que la photographie a été inventée par des gens qui voulaient fixer le temps. Finalement, ce qu’ils ont réussi à fixer, ce ne sont que des images. 

Différence

Nos voisins font un party, nous, nous écoutons en direct le discours de Zelensky à la télé.

 

Il paraît

Cette souffrance-là, ce travail-là, d’essayer simplement de vivre en harmonie,

de respecter les autres,

de cultiver un coeur joyeux,

de comprendre ce qu’on est et ce qu’on fait sur cette terre,

d’essayer de soigner la vie dans ses plus petites manifestations,

d’apprivoiser la mort et la maladie tous les jours,

de créer de l’harmonie dans nos maisons, nos repas, nos tenues, nos rapports,

ces questions-là, de ne pas être cruel même si la vie nous fait mal,

de ne pas être égoïste alors qu’on ne cherche qu’à tout ramener à soi,

d’essayer de comprendre nos systèmes d’éducation, de soins, de communications qui ne communiquent pas grand-chose, et nous-même, qui sommes des mystères de plus en plus épais à mesure que nous avançons en âge,

cette souffrance-là de se sentir dépassés, rejetés, dénigrés,

cette souffrance-là de savoir que Dieu n’existe pas et ne veille pas sur nous et qu’il n’y a personne de puissant qui viendra nous sauver de la mort et de la perte des êtres chers et de la dépossession de nos illusions,

celle-là qu’on ressent quand on voit des enfants abandonnés, maltraités, violés, malheureux, affamés,

cette souffrance-là, qui n’est que le joug normal qu’un humain doit porter sur ses épaules étant donné sa nature,

sans oublier la souffrance du désir non assouvi qu’on doit faire éclater dans l’univers si on ne veut pas qu’il nous plie en deux, de l’amour non reconnu qu’on doit distribuer tout autour si on ne veut pas qu’il nous ronge jusqu’aux os,

celle-là du frère qui se moque, de la soeur qui se noie dans son chagrin et pour laquelle on ne peut rien

ces souffrances-là, qui sont le lot de tout être humain sur cette planète,

il me semble qu’elles seraient suffisantes, non?

 

On n’a pas besoin en plus de recevoir des bombes sur la tête qui détruisent nos maisons, nos oeuvres, le petit bien-être qu’on s’est construit à force de travail lent et laborieux,

on n’a pas besoin de tanks et de chars qui marchent sur les jambes des morts, des viols à répétition, des mensonges hideux, des casques de fer, des tranchées suintantes d’humidité, du bruit hideux des canons qui nous déchire si fort les tympans qu’on souhaiterait être sourd pour ne pas les entendre et ainsi ne pas savoir ce qu’ils signifient, ces bruits de fin du monde,

pas besoin de la noyade de marins dans un navire éventré, de la torture ordinaire que le bourreau inflige à celui qui l’a combattu, ou peut-être même à celui qui ne l’a pas affronté, qui ne l’a même pas haï,

on n’a pas besoin de ça.

C’est un surplus de laideur, d’horreur, de cruauté, dont on pourrait faire l’économie.

 

Mais il paraît que ça aussi c’est humain, ne pas savoir économiser sur la souffrance, la cruauté, le mépris et le rejet, sans parler des bombes et des balles de fusil et des tanks et des roquettes;

Il paraît que ça aussi fait partie de ce qu’on reçoit comme bagage à la naissance. Comme bagage. Que ça vient avec la vie. Que ça vient avec la force ou la faiblesse, avec la déception, la jalousie, le mépris, la haine et la peur. Que ça vient tout seul quand on laisse monter à l’intérieur de nous cette sorte de feu qui veut immobiliser ou brûler les autres, les voir disparaître.

Il paraît.

Je suppose que c’est vrai, puisque c’est là. Puisque, dans toute notre histoire, ça a toujours été là.

C’est vrai.

C’est là.

Ça paraît. Ça explose. Ça détruit. Ça hurle. Ça tue en déchiquetant. Et il n’y jamais assez de larmes, celles des mères et des pères, celles des soldats et des soignants, celles des enfants, des violées, pour éteindre le feu destructeur ravageur, pour apaiser l’odeur de chair brûlée qui se répand d’une maison à l’autre, d’un continent à l’autre, d’une vie à l’autre sans jamais faiblir.

 

 

 

 

Ces jours-ci

Ces jours-ci, j’ai l’impression d’avoir 13 ans à nouveau. Pourquoi? Parce que je regarde des histoires d’amour à la télé. Parfaitement. Des histoires d’amour qui viennent de Corée qui sont distillées en 16 épisodes de plus d’une heure chacun, écrites et réalisées selon les standards du genre : joyeuses, émouvantes (généralement bien construites, au demeurant) et qui finissent bien, version coréenne de : ils se marièrent, eurent de l’argent et peu d’enfants.

Et pourtant, je sais ce qui suit l’union de deux personnes qui s’aiment. Ce n’est pas toujours la félicité, loin de là. Tenons déjà pour acquis que les deux amoureux restent fidèles l’un à l’autre, ce qui enlève déjà plusieurs chapitres au livre des malheurs et des désagréments qui pourraient leur tomber dessus. Mais il y a d’autres types de difficultés, au quotidien, qui mettent l’amour à rude épreuve. Par exemple – j’invente, là, j’invente, je ne parle jamais de ma vraie vie, hé oh! -: il n’aime pas le poisson alors qu’elle, oui, il n’aime pas être en retard alors qu’elle n’en a cure, il met le ménage dans son horaire alors qu’elle nettoie quand elle en a le temps, il marche alors qu’elle lit, fait du ski alors qu’elle nage, elle a peur de la violence, même à la télé, lui s’endort durant les suspenses, elle aime la musique, lui, des vidéos explicatifs sur les moteurs, lui aime se lever tard, elle tôt, et ainsi de suite. La vie, longue, permet d’observer cela et bien d’autre différences plus profondes, des incompatibilités, même, qui égratignent sérieusement l’image finale du dernier épisode de l’histoire d’amour. Ce n’est ni dramatique, ni tragique, juste déstabilisant. Pas trop. À condition de rester souple léger, ouvert.

Normalement, ce ne sont pas les difficultés passagères de la vie d’amoureux qui m’incitent à me précipiter sur les histoires d’amour. Sauf que, en ce moment, il y a la guerre en Ukraine, ça fait mal et je ne peux rien faire sauf envoyer des sous ; sauf que, en ce moment, on sort à peine, et peut-être pas non plus, d’une pandémie durant laquelle notre vie devait se vivre à l’intérieur de nos murs; sauf qu’il y a la famine au Yémen, dont personne ne parle plus; sauf que l’armée du Myanmar a mis 10 000 manifestants en prison depuis 3 mois, sans compter les personnes qu’elle a tuées; sauf que, plus on en sait sur les paradis fiscaux, plus on découvre que c’est une hydre à mille têtes que personne n’affronte, finalement, malgré les promesses; sauf que, bientôt, il n’y aura plus de tortues ni de requins ni de récifs de corail, ou si peu; sauf qu’il faudrait bien que le Canada se déniaise et impose sa souveraineté sur une partie de l’Arctique parce que Putin va tout gober et ainsi de suite. Ainsi de suite

Dans ces conditions, vous comprenez que n’importe qui, même les gens instruits et avisés (ce que je ne suis pas toujours, loin s’en faut) regardent de temps en temps des histoires d’amour qui finissent bien. Ça aide à atterrir sur un tout petit nuage au bout de sa journée avant de recommencer à affronter le malheur du monde le lendemain.

 

 

 

 

Un souffle

Je regarde la télé. Une dramatique. Des personnages qui ont chacun sa propre trajectoire, laquelle nous est révélée peu à peu à mesure que l’histoire avance.

Celui-là a vu sa mère mourir dans des circonstances étranges et, dans la pensée –  c’est rapide – on se les remémore à chaque fois qu’il apparaît sur l’écran.  Il a un bagage, une sorte de bulle autour de sa tête, qui se promène avec lui, qui sera de plus en plus grande et grosse à mesure que l’histoire sera racontée. Homme, 55 ans, sportif malgré ses pieds plats, a beaucoup aimé cette mère disparue, a épousé une femme dont il se demande si elle l’aime encore et ce que c’est que l’amour à 55 ans, architecte frustré de n’avoir jamais réalisé un seul projet qui l’a enthousiasmé vraiment, une création qui aurait pu changer sa vie et celle des immeubles de sa société, etc. Il échange avec un autre personnage. Femme, 53 ans, se regarde très peu dans la glace, aime le vin blanc et le bacon bien cuit, a pratiqué plusieurs métiers, se demande si elle est centrée, voudrait faire du yoga pour se calmer mais surtout pour rester svelte, aime trop les romans policiers, a décidé de ne plus se poser de questions sur son union et ses enfants parce qu’elle est incapable d’y répondre, etc. Bulles superposées et bien organisées de deux personnages de télé.

Je ferme la télé. Les personnage me suivent, viennent ajouter leur bulle à la mienne, qui est déjà volumineuse. Femme, cheveux abondants et frisés mais pas trop, qui regrette d’en perdre mais qui se trouve chanceuse d’en avoir encore autant à son âge, qui aime les projets mais, désormais, les réalise à un rythme plus lent parce qu’elle sait qu’elle ne changera pas le monde et que, des fois, c’est agréable de ne pas travailler, qui recoud les boutons à ses robes achetées dans des friperies, qui voudrait bien, avant de mourir, voir son opéra présenté sur une scène, même petite, qui commence à avoir mal régulièrement au petit orteil du pied gauche, qui… et ainsi de suite.

Ma bulle est grande, grosse, fournie – lourde? je ne sais pas. La vôtre aussi, celle de tous les humains, en fait. Et on les entretient bien ces, bulles, on est encouragés à les chérir et à les protéger. L’individualisme, ça s’appelle.

Et puis, un jour, on pousse son dernier souffle. On est emporté. Ailleurs. Le contenu des bulles disparait-il totalement? Si non, qu’est-ce qu’il en reste? Et où? Toutes ces notes qu’on prend, ces projets qu’on mûrit, ces goûts et dégoûts dont on fait la liste régulièrement, ces espoirs qui s’élèvent en un brasier lumineux, ces rêves qui s’écroulent comme des immeubles bombardés, ces incapacités sur lesquelles on s’use les dents, ces capacités qu’il faut toujours entretenir, toutes ces valises qu’on traîne, ces porte-conteneurs chargés à ras bord de pensées accumulées depuis qu’on est au monde, ces bulles qui deviennent tellement terriblement plus lourdes que nous si on n’y fait pas attention, où vont-elles?

Et il ne faut qu’un souffle pour les anéantir. Un. Souffle. Explosion des porte-conteneurs. Ils coulent dans une mer sans eau.

Oh.

Je crois que je vais continuer à regarder la télé jusqu’à ce que je m’endorme.

Ouais.

Moi, mon corps, mon âme, etc.

Entre l’information et la désinformation, depuis quelques années, ces jours-ci surtout, il n’y a qu’une fine ligne que je discerne de moins en moins.

Entre l’impuissance et le laisser-aller, rien n’est visible, sauf pour la personne qui essaie de s’extirper de l’un et de ne pas être abattue par l’autre. Et vice-versa.

Entre la colère et l’exposé bien structuré et vindicatif (mais probablement inutile) au sujet de l’atrocité et de la cruauté de la guerre, il n’y a qu’un souffle, qu’un petit pas intérieur. J’essaie de rester sur le pas de la porte entre les deux, mais c’est difficile.

J’adopterais tous les tons que je connais, depuis les notes blanches et noires de tous les arpèges du piano jusqu’aux sons de la nature et des animaux, en passant par la menace, le chantage, la promesse, la mièvrerie, l’amour, le sens de l’éternité de l’histoire, j’utiliserais tous les tons, couleurs, nuances et puissances vocales et mentales que je connais, que j’ai développées au cours des années, pour essayer de persuader quelqu’un d’arrêter la guerre. Mais toutes ces belles capacités, acquises de haute lutte, sont inutiles, ô frustration.

Je suis là, moi, mon corps qui respire et qui mange, qui expulse, qui pense, qui s’émeut, qui s’attriste et se révolte et ahane tant la douleur est intense, et qui hoche la tête d’un côté et de l’autre parce qu’elle ne tient presque plus sur mes épaules tellement elle me fait mal, je suis là, donc, et il me semble que je suis immobile, figée, au centre de toute cette incertitude, cette cruauté, cette stupidité gigantesque et insensée que constitue l’attaque de Putin sur l’Ukraine, ou la faim généralisée au Yémen. Le monde se liquéfie sous les bombes, mes tympans sont arrachés, la vie éclate en gravats et blesse les chairs, celle des enfants, des femmes, des hommes et des animaux, et attaque tout tout ce qui est vivant partout sur notre planète. Partout.

Et moi, mon corps, mon âme, on n’y peut presque rien. Infinitésimalement rien *.

Ça ne veut pas dire que je n’envoie pas d’argent pour aider – infinitésimalement peu -, ça veut simplement dire que l’amour, la paix, l’entr’aide et la solidarité salvatrices n’ont aucune puissance aujourd’hui pour arrêter tout ça. Pour arrêter quoi que ce soit d’ailleurs.

À quoi servez-vous, moi, mon corps, mon âme, etc. ? À quoi je sers?

 

*Je sais, ce n’est pas un mot, mais il me semblait que, dans les circonstances, ça disait ce que ça voulait dire.