Le monde des célébrités

C’est une écrivaine
C’est une maman
C’est un papa
C’est un enfant
C’est une jumelle
C’est un triplé
C’est un acteur
C’est une danseuse
Dieu est un créateur…

Si vous avez des prétentions à la célébrité comme celles-là, accrochez-vous-y. Elles s’avèreront plutôt insaisissables ; on est reconnu seulement pour sa dernière performance.

C’est un docteur.
C’est une physicienne nucléaire
C’est un astronaute
C’est un psychiatre
Je suis un idiot de naissance
Ne le sommes-nous pas tous?
Je suis un bébé…

Si j’ai oublié votre revendication, ajoutez-la à la liste. Vous pouvez en avoir plusieurs et les y inscrire toutes. Ne soyez pas modeste. C’est le type de possession le plus valorisé en notre monde, semble-t-il. Ne perdez pas votre part, et n’oubliez pas de vous faire prendre en photo avec votre costume. Et puis, ne vous opposez pas aux prétentions de notoriété des autres autour vous; vous pourriez vous faire blesser gravement. Souvenez-vous des guerres.

Monica Hathaway, M102
traduction de Maryse Pelletier

Il y a Maria

Ce matin, j’ai mal à la tête, j’ai le cœur lourd, je suis un peu perdue dans mon univers, mais il y a Maria qui arrive.

Ce matin, il y a la journée internationale des femmes, et la certitude que les femmes, qui constituent la moitié des êtres humains vivant sur cette planète, sont partout moins bien traitées que les hommes même si les hommes sont mal traités aussi dans certaines régions et certaines circonstances, mais il y a Maria qui arrive.

Ce matin, il y a la certitude que les inégalités ont progressé partout, que l’austérité est une solution pour ceux qui ne voient rien à moins de trois mètres d’eux, il y a TransCanada qui fait des relevés sismiques par loin d’une aire protégée avec la permission de notre bon ministère de l’environnement, il y a des audiences publiques pour la construction et l’installation d’un oléoduc qui devra traverser 800 cours d’eau chez nous seulement, et les gens trouvent que c’est sérieux — si le ridicule ne tue pas les gens, il va tuer les cours d’eau —, mais il y a Maria qui arrive en chantant.

Ce matin, il y a Donald Trump, ce clown dangereux et violent, qui conquiert les Américains, il y a l’éducation qui régresse chez nous (ne vous demandez pas pourquoi Trump progresse), il y a notre ministre de la santé qui profite de son pouvoir pour favoriser grandement les médecins et pour chambarder notre réseau de la santé en exigeant l’approbation et le silence autour de lui, il y a l’idée d’indépendance qui stagne, il y a des gens qui ont deux emplois pour pouvoir seulement manger et payer leur loyer, il y a des jeunes qui partent se battre avec l’État islamique pour devenir des héros en Syrie (l’éducation régresse, je vous dis) et violer les femmes sur leur passage, il y a…

Il y a tout cela, devant quoi je me sens impuissante, inutile, devant quoi j’ai envie de hurler à la lune, au soleil, à l’univers. Mais ça ne servirait à rien. Il n’y a personne qui se soucie d’une vieille femme qui hurle dans son coin. Elle a trop de temps, cette femme, elle devrait travailler ou taire et rentrer dans son trou.

Heureusement, il y a Maria qui arrive en chantant, heureuse, légère, qui se réjouit de venir ici, qui nous fait rire, qui ne se préoccupe que du sort de ses deux filles et de sa famille, Maria, heureuse dans son univers dont on pourrait dire qu’il est limité, protégé, à l’abri des nouvelles et des oléoducs et de TransCanada et de Barrette.

Il y a des matins où j’envie Maria. Vous me comprenez ? Bien sûr, je me fais d’elle une image rose. On a tous des problèmes. Mais elle peut régler ses problèmes. Pas moi. Il y en a trop, partout. Trop, partout.

Nouvelles images

– Un SOS entendu de la planète terre : « Dieu, pour l’amour du Christ, envoie-nous des recrues qui ont de l’allure. On est à court de sauveurs. »

– M. et Mme Prude qui meurent d’être sans emploi après avoir réussi à persuader tout les « affreux » d’arrêter de fumer et de boire.

– Les chimistes, biologistes physiciens nucléaires et tous les autres types de scientistes, plus tous les physiciens et prescriveurs de pilules debout, en ligne, à l’Armée du Salut pour demander le gîte et le couvert après avoir débarrassé la terre de toute les maladies.

– L’harmonie qui se penche sur sa propre musique.

– Une école nouvelle qui enseigne aux naïfs ce qu’ils ne savent pas de sorte qu’ils aient l’esprit clair. Des questions? On y travaille aussi sur un système de mémorisation qui préviendra la sénilité. Le hic c’est que vous vous rappellerez même ce que vous voulez oublier.

– Un dictionnaire informatique qui manque d’espace, et qui cherche de nouveaux mondes, de nouveaux mots et de nouvelles définitions.

Monica Hathaway, M102
Traduction de Maryse Pelletier

L’homme-orchidées

L'homme-orchidées à l'oeuvre

L’homme-orchidées à l’oeuvre

Il est si grand que j’ai le cou cassé quand je le regarde dans les yeux, il parle bas, en hésitant, d’une voix, d’une énergie retenues. Il bégaie un peu, mais on retient son souffle pour l’écouter jusqu’au bout de ses phrases. C’est qu’il parle d’orchidées. D’orchidées, tout le temps.

Chez lui, il en a pas moins de 20 000. Minuscules, petites, moyennes, moyennement grosses, très grosses, très rares, rares et moins rares, qui viennent du Brésil, du Pérou, du Mexique, mais surtout du Costa Rica. Il y en a 1400 espèces dans ce pays-ci. 1400 ! – Mon amoureux pense qu’il va devoir agrandir le toit ombragé sous lequel je mets les miennes. Il considère qu’à quelque cinquante plants, je suis loin du nombre de fleurs que je voudrai avoir, faire fleurir, admirer, connaître. Mais cela est une autre histoire.

L’homme-orchidées, cet Allemand égaré au Costa Rica, qui parle espagnol, allemand et anglais – mieux espagnol qu’anglais d’ailleurs -, cultive des orchidées chez lui, les divise, les installe, les vend, mais en a toujours de plus en plus. Chaque fois que je vais chez lui, il a une nouvelle serre, un nouvel espace pour en mettre de plus petites, de plus grosses, de nouvelles variétés issues de croisements volontaires ou non, d’autres, plus, encore plus. Il est atteint d’orchidomanie, une maladie aussi rare que contagieuse.

Et il vous identifie les plants et les fleurs en latin, et il invente des noms latins pour ses nouveaux croisements. Et il essaie de vendre. Je ne sais si ses affaires vont bien, je sais seulement que, quand on achète, il est très gentil, si gentil qu’il vous en donne une en cadeau, qu’il vous écrit les noms parce que vous voulez les apprendre (quelle tâche impossible) et que, le bouquet — c’est le cas de le dire —, c’est qu’il vient les installer chez vous en les accrochant aux arbres de votre environnement.

Mon amoureux peut se calmer, au nombre d’arbres que nous avons ici, il n’aura pas besoin de me construire un nouvel espace à orchidées, il n’aura qu’à me procurer des échelles pour que je puisse les installer à la même hauteur à laquelle l’allemand les installe. Et je serai heureuse.

Et ça va fleurir, un jour!

Et ça va fleurir, un jour!

Photos : C. Gingras

Brèves

Comment ?
Lèvres serrées, paupières baissées, oreilles bouchées, langue nouée, toucher tendu, comment pourras tu arriver à comprendre ce qu’est le laisser aller ?

Innocence
L’état d’innocence est le paradis des fous. Le désir d’y retourner est le chemin qui mène à la sénilité.

Le prix
Liée au mât de la nef des fous
J’ai parcouru les sept mers à la recherche d’un partenaire

Attention
Attention aux chevaliers en armure étincelante. L’éclat qui jaillit du métal vous rend aveugle au squelette qui y loge.

Monica Hathaway M102
Traduction de Maryse Pelletier

Images

– Les Himalayas, avec un sentier en colimaçon pour les personnes en chaise roulante et un panneau clignotant (sonore aussi, en cas de surdité) à chaque mille pied ou à peu près et qui affiche : « La vérité vous attend au sommet ».

– Ouvrir une huitre et voir un petit homme qui en surgit et qui dit: « Cette huitre est mon univers ».

– Les figures vides de personnes dont les traits ont été volés.

– La terre, qui répand une nouvelle poudre chimique appelée « Tueuse d’humains » sur toute sa surface et qui s’exclame : « Assez, c’est assez! »

– Une école Nouvel Age qui se saborde elle-même avant de vieillir.

– Jonas qui, dans l’estomac de la baleine où il vit, se plaint de la trop grande quantité de sel dans sa nourriture.

– Des nuages de pluie, immobiles au dessus de la terre, qui pleurent durant 40 jours.

Monica Hathaway M102
traduction de Maryse Pelletier

N.B.

Si vous dites que l’amour est une vertu et la haine une faute, vous guidez vos étudiants sur le chemin de la répression. Amour et haine sont les énergies de l’attraction et de la répulsion, lesquelles sont des réalités physiques de l’univers qui travaillent à notre survivance.

Monica Hathaway, M102
traduction de Maryse pelletier

Bonne nouvelle

Les livres qui parlent de dieux et démons, de ciel et d’enfer, de pécheurs et de saints, de sauveurs et de traitres visent à mettre l’humanité en conflit avec elle-même. Ils créent des zones de pouvoir où on distille récompenses et punitions, installe la peur au coeur et promet l’amour pourvu qu’on croie à l’esprit dualistique.

La clarté de l’esprit de résulte pas de l’assimilation à la moitié d’un conflit. C’est le conflit entier qu’on doit laisser tomber ; inutile de favoriser un côté ou l’autre, une personne ou l’autre, de cet évident lavage de cerveau. Se ranger d’un côté ou de l’autre est le seul péché, le seul fiasco possible. Il y a toujours une moitié qui manque et le conflit continue, puisqu’il est nourri par ses opposés. Laissez tomber le livre tout entier et vous aurez l’esprit clair. Parlez avec votre voix propre. Laissez tomber la voix qui ressasse le brouhaha des projets, parlez de toute la tessiture de votre voix et écoutez sa vérité.

Monica Hathaway M101
Traduction Maryse pelletier

Les modèles

Ne sois un modèle pour personne
Ne fais de personne un modèle
Suivre ou crucifier c’est pareil
C’est créer un modèle
C’est épingler un papillon au mur ou sur un pieu.

Monica Hathaway M101
traduction Maryse Pelletier

100 kilos de connaissances

Durant la nuit, hier, mon amoureux dormait à côté de moi, et je me suis soudain rendu compte de tout ce que son organisme de quelque 100 kilos contenait de données, grouillait de connaissances, retenait d’histoire personnelle. Un père moustachu et volage, une mère habile, divorcée et contrôlante, une sœur handicapée, des dizaines de meubles décapés, des centaines de boîtes de déménagement, des spectacles par milliers, des mathématiques, des connexions électriques et électroniques, les lettres et les chiffres de programmes d’ordinateurs, plusieurs négociations syndicales, l’analyse de relations patronales et de comportement de camarades syndiqués, l’analyse de comportement des camarades au travail, l’apprentissage au travail, la soudure, les projecteurs à installer, à enlever, à ranger, à sortir, à installer de nouveau, les machines à boucane, les décors sur roulettes qu’il faut amarrer en quelques secondes, la sécurité derrière le rideau, la frénésie derrière le rideau, la recette du sucre à la crème et du nougat, les danseurs qui se précipitent sur le sucre à la crème et le nougat, sans compter l’étonnement devant les femmes, les plantes, un jardin, un chien entêté et la façon d’amadouer un chien entêté, un jardin, les plantes, mais pas trop les femmes, savoir réparer la serrure d’une voiture, recommencer parce qu’on s’est trompé, choisir le fromage et le dessert, aimer la truite, mais pas la pêche, aimer le chevreuil, mais pas la chasse… – je pourrais continuer longtemps, longtemps, mon énumération et je n’aurais pas touché la moitié de ce que ce corps de quelque 100 kilos à côté de moi enferme de connaissances, d’expériences et d’apprentissages. Ce corps poilu, barbu qui, pour l’instant, enfoui sous une couverture vert tendre bordée d’un frison qui lui chatouille le nez, ronfle de bonheur en prenant un repos bien mérité.