Comme on laisse tomber un sac sur le sable d’une plage, on laisse tomber ses chagrins. Leur destin est d’être avalés par la vague et le sable derrière nous.
C’est de plus en plus facile à mesure qu’on vieillit. On sait qu’ils ne nous écraseront pas, qu’ils ne feront pas de nous une bouillie si informe qu’on en deviendrait méconnaissable, qu’ils ne nous extirperont pas les tripes du ventre pour les étaler au soleil. On le sait. On l’a appris. On sait qu’on survit. Et, laisser tomber les chagrins comme des feuilles molles nous allège.
Mais, je ne sais pourquoi, on ne peut jamais tout à fait laisser aller ceux de l’enfance. Ils étaient si lourds, si brûlants, oppressants, qu’ils continuent, de loin en loin, à nous effrayer de leur masque cruel, à nous menacer de leurs doigts visqueux. Ceux-là, ils ne sont ni feuilles molles, ni sacs encombrants, ni tiges épineuses ; ils sont colle, eau glacée, mille-pattes. À chaque fois qu’ils surgissent, il faut les décoller de notre peau, de nos cheveux, les chasser à grands coups de main malhabiles. Mais il en reste, il en reste toujours un peu.