Et on est là, dans ce paysage magnifique, près de cette jolie maison entourée de fleurs, et il fait si beau qu’on en pleurerait, on boit du bon vin et on mange bien, des produits de l’été d’ici, des légumes à foison, des viandes grillées, avec un dessert savoureux, délicat, et on est bien, mais on ne va pas bien. On a mal partout sans que ça se voie.
Mal à l’Ukraine et aux Ukrainiens, mal aux gens du Myanmar, aux Nord-Coréens, aux Ouigours, aux soldats russes qu’on envoie mourir par milliers sur un champ de bataille honteux, mal aux réfugiés rejetés qui meurent en Méditerranée, mal partout. Mais ça ne paraît pas. Ça ne se voit pas. On n’est ni blessés, ni pauvres, ni affamés. On a septante ans et plus, on y réfléchit à deux fois avant de monter un escalier, on a plus chaud, ou plus froid, on restreint nos activités, tout doucement… Que faire contre ce mal immense, à part donner de l’argent, quand on en a?
L’effet papillon, il paraît que c’est réel. Que c’est vrai que le battement de l’aile d’un papillon se rend jusqu’à l’infini de l’espace, ou presque. Ainsi, un souffle de notre poitrine créerait d’infimes ondes dans l’air et nous reviendrait à un moment donné – mais nous n’en aurions pas conscience, bien sûr. Chaque fois que nous respirons, notre souffle se prolongerait jusqu’aux Pôles, jusqu’à la forêt amazonienne, jusqu’en Patagonie, jusqu’à la Chine, le Tibet occupé, le Yémen asséché…
Si un geste de pardon, une insulte non proférée, une colère maîtrisée, une pensée aimante, une indignation juste pouvaient, elles aussi, avoir un effet papillon, si un geste d’amour, plusieurs gestes d’écoute, des milliards de souhaits ou de prières – si vous préférez ce mot – si tout cela pouvait avoir un effet papillon… Si seulement.
Mais alors, il faudrait bien reconnaître que la haine, la détestation, la violence en auraient un aussi. Tous ces effets papillon se croiseraient en s’entrechoquant, s’affrontant comme les vagues d’une mer en furie autour de nous, en nous, et nous serions ballottés, traversés par ce chaos ambiant, cet inextinguible et éternel chaos.
C’est peut-être ce chaos qui fait que, malgré qu’on apprécie pleinement le paysage fleuri devant lequel on s’assoit, on ressente un malais profond indicible et constant, qui nous empêche de trouver une paix réelle.
Mais qui, quelle que soit sa situation, avec ou sans effet papillon, peut trouver une paix réelle, en ce moment?
Comme toi, comme vous, j’ai mal à la paix, à l’incompréhension, à rout ce qui va tout croche dans notre monde. Alors j’essaie de partager ce que j’ai de temps, d’écoute, d’énergie avec les personnes qui en ont besoin et qui me partagent leurs soucis. L’effet papillon…
Oui, l’effet papillon.
Amitiés, cousine.