À chaque fois que je fais des exercices physiques, ceux que Monica m’a appris, je pense à elle.
Ces exercices, qu’elle a découverts toute seule en soignant une poliomyélite, sont à la fois faciles et difficiles. Faciles parce qu’ils sont simples, mais difficiles parce qu’il faut passer à travers plusieurs étapes déstabilisantes avant qu’ils nous deviennent familiers. Ils sont basés, pour tout vous dire — ce qui ne vous dira rien du tout — sur le laisser être. Laisser être le corps.
Ce sont des exercices puissants, ils font un bien immense pourvu qu’on les fasse régulièrement. Grâce à eux, le corps se donne une chance de retrouver son tonus et son maintien naturels. Mais, comme je vous dis, puisque peu de gens acceptent d’être déstabilisés, donc peu de gens les font. Monica a toujours eu peu d’élèves. J’en étais. Et je suis sans doute retournée prendre ses cours les premiers temps pour ne pas déplaire, ou pour une quelconque raison débile comme celle-là, mais quelquefois l’incapacité de déplaire a du bon, et je m’en suis trouvée gagnante sur tous les plans.
Quoiqu’il en soit, chaque fois que je fais ces exercices, je pense qu’il n’y a presque personne qui les connaisse, parce que Monica a eu peu d’élèves, et que ceux qui les enseignent maintenant ont, eux aussi, très peu d’élèves.
Et je me dis : est-ce que j’étais destinée à enseigner ces exercices difficiles mais bienfaisants ? Et si j’avais raté ma vocation? Mais qu’est-ce donc, que la vocation ? Est-ce que ça existe ?
Quand j’étais petite, ceux qui avaient « la vocation » entraient en religion, devenaient les serviteurs de Dieu pour répandre sa bonne parole et ses enseignements. Est-ce que la vocation, si elle existe, a toujours ce goût de sacrifice personnel pour une cause prétendument plus grande que soi ?
La vocation, celle que certaines personnes se reconnaissent, d’où vient-elle ? Je ne crois pas qu’elle vienne de Dieu – ou d’une quelconque entité supérieure à l’homme. Pourrait-elle être le fruit d’un mélange complexe d’impuissance et de souffrances au quotidien, que l’esprit compense par une aspiration à s’anéantir ? Ou encore serait-elle une pensée qui, suivant les méandres du rêve, et nourrie par l’idéal d’un monde meilleur, d’un soi désincarné, deviendrait le moteur de l’existence? Est-ce qu’elle existe ? Si on dit que oui, on se sent obligé d’en avoir une – et dépouvu de sens si on n’en a pas. Si on dit que non, on semble manquer d’idéal, de raison fondamentale de poursuivre et mener à bien notre existence.
Est-ce qu’on peut se débarrasser totalement d’une idée, d’un concept comme celui de la « vocation », qui s’est imprégné dans nos têtes pétries de religion depuis des siècles ? Et pas seulement chez nous, les Occidentaux. Les attaquants suicidaires, les fous d’Allah et les martyres chrétiens ont, avaient une vocation. Rien que ça serait suffisant pour vouloir annihiler le concept à tout jamais, non ?
Mais il colle, il colle.
Il colle.
Monica n’a jamais désigné de successeur, n’a jamais voulu de disciples, elle ne croyait pas à la vocation. Elle pourfendait même ces idées avec le grand rire de celle qui s’en fout complètement.
Alors, je continue mes exercices en me rappelant sa joie contagieuse, et j’ai envie de rire aussi.
Je ne crois pas que j’aienseigne Par vocation. Plutôt par adéquation avec mes valeurs et mes capacités intellectuelles et émotionnelles. Je ne crois pas non plus que je milite par vocation mais plutôt pour les meme raisons d’adequat Entre mes valeurs et ma vie. Agir parce qu’on a du plaisir, parce qu’on se sent utile, parce qu’on pense que c’est ce qu’il faut faire et se sentir à la bonne place au bon moment. Je pense que cela évite le stress et la maladie, surtout la morosité et la dépression. La vocation pour le bonheur et pour la vie n’ont rien de religieux ils relèvent de la santé et de la joie de vivre. Je crois que j’ai la vocation pour me sentir vivante.
Merci. Je crois que, pour moi, le mot vocation un sens principalement religieux, ce qui me fait douter de sa valeur.