J’ai l’impression de ne rien faire de mes journées, et pourtant je cours tout le temps. Par exemple, ce matin.
Je remplissais un formulaire de Revenu Québec qui demande de donner des numéros, des relevés de revenus et des dates, des dates, des dates que je dois chercher dans des dossiers. Des dates que je ne trouvais pas ; par exemple, la date du début de mes opérations comme petit fournisseur de… Je vous fais grâce des détails. J’ai donc demandée ladite date au préposé de Revenu Québec, et l’ai inscrite au plomb sur le formulaire que j’avais trouvé en ligne et imprimé.
Quand j’ai voulu effacer cette date écrite au plomb pour la mettre à l’encre, au propre, j’ai utilisé une gomme à effacer si vieille qu’elle a fait une grosse tache sur le papier. J’ai donc cherché donc une gomme plus neuve pour effacer cette tache, gomme que je n’ai pas trouvée – est-on surpris?- là où je la mets habituellement.
J’ai voulu utiliser l’efface au bout de mon crayon, mais elle était trop sèche, celle-là aussi. J’ai donc cherché les crayons neufs, j’en ai habituellement une boîte dans mon bureau. Mais sans doute pas dans ce bureau-ci, parce que je n’ai pas trouvé la boîte en question.
Pas de problème, que je me suis dit, j’ai toujours un crayon dans mon sac à main.
Je descends au rez-de-chaussée chercher ledit sac. Pendant que je cherche – l’ai-je laissé dans l’entrée?-, on frappe à ma porte.
J’ouvre. C’est Sofia, la petite voisine, 6 ans, qui veut que je lui dise où elle peut trouver une couleuvre sur mon terrain – son frère est venu il n’y a pas une heure me montrer le spécimen agité qu’il venait d’attraper. Je lui offre plutôt de goûter la confiture de cassis que j’ai faite ; elle met le nez dans ma marmite pleine, et elle comprend enfin pourquoi j’avais cueilli autant de cassis hier.
Le téléphone sonne, je réponds tout en sortant un contenant de l’armoire, dans l’idée de donner un peu de confiture à Sofia. Elle tient le plat, le colle contre la marmite, je le remplis à moitié, dépose la grande cuiller dont je me servais et continue à parler au téléphone. Elle ne détache pas le contenant de la marmite, je comprends qu’elle veut plus de confitures, j’en ajoute, j’en ajoute… Elle ne détache son contenant que lorsque je l’ai rempli à ras bord et y installe le couvercle.
Mon téléphone se termine, je laisse partir une Sofia toute contente, en lui demandant de me rendre mon plat quand elle et sa famille auront terminé la confiture.
Je reste près de la porte un instant, me demandant ce que je venais faire au rez-de-chaussée.
Tant qu’à y être, je vérifie le pain et, sans me rappeler pourquoi j’étais descendue, je remonte à l’étage. Sans mon sac à main.
De retour à mon pupitre, j’y retrouve ma feuille, ma tache, ma vieille gomme à effacer, que je précipite à la poubelle – après vingt ans, ce n’est pas du gaspillage – et me rassoit.
Sans gomme à effacer qui soit utilisable.
Je soupire.
Me souviens que je dois trouver mon sac parce que j’ai besoin d’un bonne gomme à effacer…
Je regarde autour distraitement, histoire de digérer le fait d’être forcée à redescendre et, ô miracle, je vois la ganse de mon sac à main qui dépasse de sous mon pupitre.
Wow!
Je récupère mon sac, y trouve un crayon automatique avec une belle gomme toute neuve… mais inefficace. La tache est moins foncée, mais toujours présente. Tant pis, le fonctionnaire qui étudiera mon dossier devra l’accepter. C’est mieux qu’une tache de confitures de cassis. Et puis, dans une maison avec des enfants qui surgissent à n’importe quelle heure, des confitures, de la peinture, des comptoirs qui manquent, un potager à désherber, des corrections à faire sur des textes, des amies dont le courriel vient de se faire pirater et un orage qui menace d’éclater, on ne peut pas s’attendre à ce que les papiers soient d’une propreté impeccable.
Je finis de remplir le formulaire, cherche où je dois l’envoyer, ne trouve pas, rappelle à Revenu Québec (c’est le quatrième préposé auquel je parle en deux jours) pour me faire dire que l’adresse en question est en haut dudit formulaire, me sens idiote, m’excuse, le préposé me demande comment j’ai répondu à la question 2,4, je regarde, on s’explique longuement – j’essaie de comprendre ce qu’il veut -, finalement, sans que j’aie compris vraiment de quoi il s’agit, j’ai donné à 2,4 la réponse qu’il fallait dans les circonstances et dans ma situation. Ouf.
Plie le formulaire, trouve une enveloppe, un timbre, oublie de photocopier le document, rouvre l’enveloppe, change de timbre…
Ainsi, la journée passe et j’ai l’impression de n’avoir rien fait du tout. Mais ça sent le cassis dans la maison. C’est au moins ça de pris.