Je reviens de la petite maison de Maria. J’ai bien rigolé avec les hommes qui y travaillent à refaire l’électricité, mettre un plafond, installer de la tuile dans la salle de bain. L’espace est sens dessus dessous, avec des vêtements de la Samanta et Emily en boule dans le salon, les meubles du salon dans l’abri de la voiture, et la couche de Pelusa, la chatte, sur le lit d‘Emily. Un fouillis coloré, dans une maison encombrée.
Sur le chemin du retour, sous le soleil qui se fait tout de même rare cette année, je contemple les palmiers plantés il y a 2 saisons, et qui sont bien en santé, j’envie les splendides anthuriums roses de Maria (est-ce que je lui ai demandé de me donner une repousse?), mon regard glisse vers l’espace potager dans la côte abrupte à côté de leur maison, et je reconnais les plants de yucca à leurs tiges idiotes, longues, minces, qui portent quelques feuilles tout aussi idiotes – s’il fallait que les racines yucca ressemblent à leur tige, on ne s’occuperait pas d’en faire pousser, mais, miracle, on dirait que plus les tiges sont minces et ridicules, plus les yuccas en terre sont gros – et je me demande de quoi ont l’air les plants de patates chiricanas, à la chair blanche et à la peau noire, qui sont si bonnes, surtout rôties en tranches minces dans l’huile de coco (il faudra que je demande aussi à Maria).J’avance doucement, presque en dansant, je descends la douce colline où le chemin se courbe, et je considère mes cabuyas. Énormes, qu’ils sont. Enfin, ceux que je vois et qui ont été les premiers à bien s’installer. Les autres, je les devine à travers l’herbe à vaches, longue, mince, et coupante tellement elle est ferme, qui couvre le terrain. Je fais preuve de courage, mais surtout de curiosité, et entreprends de grimper la colline raide qui mène à la maison par l’arrière, pour voir si tous les cabuyas que j’ai plantés pour border le sentier sont vivants.
Ben oui. Même en ahanant dans mon sentier tortueux, je suis ravie de les voir. Ils vont grossir eux aussi. Chic. J’aurai la bordure de cabuyas dont je rêvais il y a 4 ans.
Je suis à la hauteur de la maison maintenant. Ou presque. Il y a encore ce bout de terrain dégagé, où j’ai planté des pompons blancs, deux citronniers, un guanabana et cet autre arbre fruitier, dont je ne me rappelle pas le nom… et quelques Canas india qui éclaboussent de rouge le paysage dans lequel je grimpe encore. Tout pousse vite. Il faudra couper quelques arbres hauts dont le feuillage crée désormais tellement d’ombre que les citronniers ne se décident pas à fleurir. Mais lesquels? La mayo, immense parapluie qui assombrit quelques centaines de mètres carrés et qui explose de fleurs jaunes en mai? Ou des amarillos, dont le tronc tout droit lance en hauteur un feuillage qui rejoint presque le soleil? Il faudra que j‘en parle avec Maria.
J’arrive au garage, côté gauche, le mien (l’autre, c’est celui de Daniel, pour l’électricité et la mécanique) où j’ai un lavabo, de l’eau, une table de travail, des sacs pleins de compost de vers de terre, d’autres, d’écorces de coco, deux brouettes, des pelles… et j’arrête ici mon énumération, vous pouvez deviner le reste.
J’examine les repousses de plantes que j’ai mises en pots : il y en a au moins deux douzaines et j’en ai encore plusieurs à replanter. Elles vont bien, sauf le bougainvillier blanc qui n’a pas donné de nouvelles feuilles depuis que je l’ai replanté dans l’idée de lui permettre de s’épanouir, de le voir enfin gros et fleuri. Je gratte une petite branche avec mon ongle, elle est verte sous l’écorce. Il vit encore. Ouf.
Je vais au potager. Voilà deux concombres prêts à manger, je les cueille et les dépose pour faire un peu de désherbage – je les oublierai quand je retournerai à la maison, bien entendu. Tout vient, tout vient bien. Je ne sais pas si j’aurai des tomates avant de retourner au Québec, mais, sûrement, elles ne se perdront pas, quelqu’un en profitera après mon départ.
Sur la colline, il fait un tout petit vent. Juste de quoi me rafraîchir un peu, moi qui transpire après avoir gravi la colline. Les cigales chantent (est-ce vraiment un chant, ce grésillement persistant?), quelques oiseaux discutent passionnément du haut des arbres, un papillon immense et bleu me passe sous le nez, je souris malgré moi, il est si beau, si beau…
Et je me dis que ça ressemble à ça, le bonheur.
Je suis immobile désormais. J’écoute. Je me sens légère, vivante, occupée à préserver le vivant, l’air, la santé, la terre, le ciel. En plus, il y a en moi tout un monde, époux, cousins, petits-cousins, frères et sœurs, nièces et neveux, petites-nièces et petits-neveux, enfants à venir, enfants qui sont déjà là, amis à venir, amis qui sont déjà là. Ils font partie de mon bonheur, ils en sont l’essence et la couleur, eux que j’emporte avec moi quand j’escalade les collines et que je cueille les légumes, quand je contemple les couchers de soleil d’ici.
Vraiment, ça ressemble à ça, le bonheur.
Je me sens faire partie de ce bonheur! Merci!
C’est comme du Giono! Et c’est toujours bon à entendre. Le bonheur des gens sans histoire