Pour toujours devant
Pour toujours derrière
Quatre cavaliers à l’armure rouillée
Aux longs cheveux de chanvre adipeux
Sur des montures essoufflées
Marchent devant
Marchent derrière
Sans m’attendre
Sans me rejoindre
Mes espoirs
Le temps s’étale, mort
Il ne respire plus
ne bouge plus
n’entreprend plus rien
s’allonge
déprimé
défait
démoli
Mon temps perdu
tombé dans les interstices
égaré au fond de ma tête
de mes envies
ne plus se soulever
ne plus marcher
rester là
inquiète
sans souffle
sans envie
défaite
troublée
empruntée
perdue
Il a encore neigé
c’est trop
il faut rester là
attendre que ça fonde
attendre que le temps change
qu’il se relève
qu’il bouge
qu’il sursaute
et tressaille
refait
rajeuni
régénéré
Attendre
et pendant ce temps là
il passe
tout doux
tout doux
Il pleut il pleut bergère
Mets donc ton capuchon
Il pleut bergère
Sèche tes lamas blonds
Il pleut il pleut il pleut
Tu n’as plus de moutons
Tes champs font le dos rond
Tes pieds sont embourbés
Et ton avenir fond
Il pleut il pleut bergère
Reste dans ta maison
Il y a trop d’eau dehors
Les rues font des rebonds
Les sources, des crevaisons
Tu n’as plus ni moissons
Ni blé ni lamas blonds
Ils ont dégringolé
Dans des vides profonds
Tu pleures tu pleures bergère
Tes larmes sont de plomb
Le ciel s’est écrasé
Sur ta tête sous tes pieds
Il ira s’engouffrer
En traînantes goulées
Dans des canaux obscurs
Dans des mers insondables
Dans un temps qui se rompt
Ce matin, dans la brume,
la montagne n’existait plus,
s’il faut en croire ce philosophe
selon qui
ce qu’on ne voit pas n’existe pas.
Et le sexe des anges, lui,
existe-t-il?
Ce matin,
il était peut-être sous la montagne
qui n’existait plus.
C’est mêlant, la philo
ça fait une sorte de brume
dans la tête
qui, dès lors, n’existe plus.
Qui donc alors écrit ce que j’écris,
pense ce que je pense?
J’arrête.
Trop de questions sans réponses
Trop d’angoisses pour un matin de brume
Mais l’angoisse, qu’on ne voit pas,
existe-t-elle?
Toi ma mort viens par là
regarde-moi
mieux que ça
tu m’entends
et prends-moi la main
on fera un bout
que je te connaisse
que je t’apprivoise
viens avance
grouille
fais une femme de toi
peureuse
mangeuse
dangereuse
avance et prends-moi la main
comme ça
oui
on y va
doucement
j’aurais dû le savoir
que tu bouscules tout
on ne se refait pas
surtout toi
une fois démarrée tu cours tu cours
suffit de te connaître
et c’est ce que je veux
justement
te connaître
toi ma mort
qui cours autant que moi
Ça va pas mais ça va.
Ça va pas mais on fait aller on n’a pas le choix.
Ça va pas il meurt dans mes bras mon amour pas né mais je fais aller
qu’est-ce que je peux faire d’autre.
Ça va pas j’en aurai jamais plus d’amour naissant entre mes bras qui gazouille et qui câline et qui tremble un peu et qui fait Moui, ma et ma,
qu’est-ce que j’y peux.
Ça va pas je tremble de partout comme si je l’avais cet amour-là entre les bras comme si je le caressais sur mon sein je tremble comme une femme enceinte de tout l’amour du monde qu’elle peut porter dans ses bras
mais qu’est-ce que j’y peux.
Ça va pas j’allonge mon âme et toutes mes auras successives et mes arcs-en-ciel vers un point de chaleur qui s’éloigne qui bondit si loin de moi si loin que je n’en verrai plus la trace dans trois secondes que je n’en sentirai plus que l’absence dans deux et que je voudrai avoir oublié jusqu’à son existence dans une et même là l’oubli n’arrive pas
qu’est-ce que j’y peux.
Mais ça va.
Mon âme mes auras combien de temps encore aller vous essayer de vous lancer dans l’au-delà de vous, combien de temps encore allez-vous déployer votre lumière vers l’invisible
combien de temps.
Allez-y continuez s’il vous plaît je vous ai déjà libérés ne venez plus vers moi je n’ai plus de place déployez-vous dans l’univers qu’au moins une parcelle de vous rejoigne quelque chose de chaud quelque part et l’illumine
Allez, continuez.
Allez.
Mon âme ma chaleur mon amour naissant mourant profitez à d’autres je vous en prie
c’est le mieux que vous puissiez faire.
À par ça, moi, ça va.
Ça va pas mais ça va.
Moi.