Une horde de chevaux surgit de la rivière, sous le viaduc. Ils piaffent, s’aspergeant des éclaboussures qu’ils projettent les uns sur les autres et sur les rives escarpées de la rivière. Les hennissements concurrencent le gargouillement de l’eau sur les berges et les claquements des sabots sur l’eau mouvante. Tempête étrange, puissante, emportée. Je me réveille. Les sabots résonnent dans ma poitrine, les chevaux et leurs crinières continuent de piaffer en moi. Cela dure. Dure.
Ma main touche un drap. C’est la robe du cheval noir, le premier, celui qui mène la cavalcade. Son dos frémit, il renverse sa tête vers sa croupe, nerveux, magnifique, et continue à piaffer sur l’eau. Il ralentit. Tout derrière lui s’estompe, se fond dans les tourbillons de l’eau, sous le pont, dans la rivière encore frémissante. Il est seul.
Le plafond de la chambre. La tête du cheval s’y imprime, puissante, volontaire, avec ses yeux apeurés. Puis disparaît, tandis que la rumeur au fond de ma poitrine diminue son grondement, que la rivière devient un ruisseau, puis un filet d’eau.
Quel corps ai-je ? Ai-je une crinière sombre ou grise ? Je n’arrive pas à retrouver une image de moi qui soit actuelle. Je garde en moi le désir de toucher des chevaux, de les monter, de les aimer, de me fondre en eux, de galoper sur les cailloux de la rive. De profiter de leur bonté, de leur effort, leur joie, leur danse, leur fougue.
Et moi, ai-je encore ma fougue ? Je la cherche, son ombre renaît en moi. Son souvenir. Son odeur, sa couleur, sa texture, mais pas sa force.
Je ferme les yeux, retourne aux chevaux jusqu’à ce qu’ils disparaissent pour de bon dans le fond de la toile qui redevient vierge.
Je lève les draps, m’assois, me regarde. Mes cheveux sont gris, ma peau fanée.
Il y a des rêves qui nous font regretter qu’ils ne soient pas la réalité.