Ma sœur mourait d’une maladie dégueulasse, la sclérose en plaques, mon autre sœur me reprochait de ne pas aller la voir — elle avait raison —, c’était durant les années 90, j’avais cinquante ans, et je n’étais pas bien. Tous les matins, je m’extirpais de la boue visqueuse de mon sommeil, ne sachant de quelle façon j’allais faire ma journée, préoccupée et confuse, mes multiples niveaux psychologiques se chevauchant en se bataillant, me crucifiant dans un mal-être qui ne m’empêchait pas d’écrire (ce qui ne me soulageait pas, contrairement à la croyance populaire), de conduire, de cuisiner et d’aller devant, toujours en avant, pour gagner ma vie. C’était une période durant laquelle j’étais seule. En rupture de couple, d’amour, le ventre assoiffé de chaleur. Autour de moi, je laissais, paraît-il, l’impression d’être forte, déterminée, active, certaine. Ça m’apparaît encore très bizarre.
Ma sœur est morte, j’étais à ses côtés en compagnie de mon autre sœur (nous étions 4 filles dans la famille), elle et moi n’avons pas voulu (selon sa volonté) la faire soigner d’une septicémie qui avait gagné son corps désormais immobile sous les draps, devant un paysage magnifique qu’elle ne voyait plus, préoccupée qu’elle était, dans son délire, des hommes monstrueux qui se cachaient sous son lit. Elle était jolie, avec des cheveux blonds, un nez retroussé, un corps athlétique (avant sa maladie) et des yeux marron intelligents et moqueurs.
Mais triste. Si triste. Presque tout le temps. Et figée dans l’espace, fouettée par tout ce qui passait, même l’air léger. Aujourd’hui, je saurais mieux comprendre son état. Il me semble qu’elle a été dépressive depuis son adolescence, si cela se peut. Chagrine, paralysée, lourde, noire. J’étais trop jeune et ignorante pour la lui suggérer de, la pousser à aller voir si elle faisait une dépression, une vraie. Qui peut se soigner.
Voilà.
Il y a des matins où la lourdeur de ces journées longues, cahoteuses, essoufflantes, douloureuses, avant et après sa mort, et au-delà, me revient en mémoire, surgit en moi comme un souvenir visqueux que je veux arracher de ma peau. Mais je laisse être, et ça disparaît. Et je suis reconnaissante au temps ; il m’a donné la chance de connaître d’autres matins, légers et frais, couleur de printemps.