Category Archives: Accueil

Instabilité

Ici et là, il y a ce magnifique espace dans lequel on peut jouer. Le prendre comme partenaire de danse est sans égale. On est certains que l’espace nous recevra sans émettre d’objection, ou si peu. Après tout, c’est notre monde, amical et invitant. Parfois on devient instables et méfiants, et on essaie de contrôler l’impermanence, se montrant délibérément indignes de confiance et se demandant, par la suite, pourquoi on ne peut jamais avoir foi en rien. La vérité de l’impermanence est suffisante, sans qu’on l’apesantisse. Il y a une différence entre la drôlerie et le ridicule.

Monica Hathaway, 14 avril 1996
traduction Maryse Pelletier

Je pense

J’ai vu une ombre, je pense
Je l’ai vue disparaître, je pense
J’ai vu une montagne, je pense
J’ai vu une vallée, je pense
J’ai vu une lune, je pense
J’ai vu un soleil, je pense
J’ai vu une rivière, un ruisseau, un océan et un bateau voguant de ce rivage à cet autre rivage, je pense
J’ai vu deux amoureux soufflant des baisers dans l’espace, je pense
Le vent s’est levé, les pluies sont venues, le feu a surgi des montagnes et les océans ont débordé et, ensemble, ils ont dévoré toutes les mémoires du passé, du présent et de l’avenir. Le spectacle des origines surnaturelles est le plus grand de tous.
Je suis venue, j’ai vu, j’ai conquis.

Monica Hathaway
traduit par Maryse Pelletier

Vitesse

Dedans et dehors, en haut et en bas, derrière et devant, tournant, venant de nulle part et y retournant à toute vitesse, voilà l’esprit.

Monica Hathaway
traduction de Maryse Pelletier

Poème triangulaire

Trois gros lapins
sur une planche
panse rougie
oreilles blanches

Trois camélias
rouge écrasé
recroquevillés
par le frimas

Trois petits sauts
dans l’inconnu
dans l’absolu
cahin caha

Trois petits pas
vers l’au-delà
je lève le doigt
et m‘y voilà

Presque rien

Or il advint que,
après avoir connu
un homme qui la battait
un autre qui l’humiliait
puis un autre radin, égoïste,
infidèle, profiteur, menteur, fuyant, voleur,
elle en rencontra un
simple, tranquille, gentil,
qui l’aimait, simplement.
Ainsi, après avoir été
battue, humiliée, blessée, trompée,
dépouillée, volée, triturée,
malaxée, pliée et repliée,
défaite, décousue, désemparée,
confuse, embrouillée, désordonnée, entortillée
déconfite, foudroyée, écrasée
elle connut la confiance, la sérénité, la tranquillité,
l’assurance, la sérénité, la joie,
ce presque rien du tout qui s’appelle le bonheur
et put mourir heureuse
oubliée, perdue, sereine.

Souffle

Nuit
Son souffle tranquille
Sa chaleur qui se rend à moi
Les millions d’étoiles au ciel, que je vois par la fenêtre
Un instant de bonheur suspendu
Confiance en l’univers
Brièvement
Confiance en lui
La nuit durant

Un cheveu en moins, deux, trois…

Déstabilisante, la vie.

On ne s’est pas sitôt habitués à voir ses cheveux blancs dans le miroir que déjà il faut s’habituer au fait qu’on les perd, et tous les jours davantage.

Bof.

On se regarde moins, non?

Toi ma mort

Toi ma mort viens par là
regarde-moi
mieux que ça
tu m’entends
et prends-moi la main
on fera un bout
que je te connaisse
que je t’apprivoise
viens avance
grouille
fais une femme de toi
peureuse
mangeuse
dangereuse
avance et prends-moi la main
comme ça
oui
on y va
doucement
j’aurais dû le savoir
que tu bouscules tout
on ne se refait pas
surtout toi
une fois démarrée tu cours tu cours
suffit de te connaître
et c’est ce que je veux
justement
te connaître
toi ma mort
qui cours autant que moi

Ça va pas mais ça va

Ça va pas mais ça va.

Ça va pas mais on fait aller on n’a pas le choix.

Ça va pas il meurt dans mes bras mon amour pas né mais je fais aller
qu’est-ce que je peux faire d’autre.

Ça va pas j’en aurai jamais plus d’amour naissant entre mes bras qui gazouille et qui câline et qui tremble un peu et qui fait Moui, ma et ma,
qu’est-ce que j’y peux.

Ça va pas je tremble de partout comme si je l’avais cet amour-là entre les bras comme si je le caressais sur mon sein je tremble comme une femme enceinte de tout l’amour du monde qu’elle peut porter dans ses bras
mais qu’est-ce que j’y peux.

Ça va pas j’allonge mon âme et toutes mes auras successives et mes arcs-en-ciel vers un point de chaleur qui s’éloigne qui bondit si loin de moi si loin que je n’en verrai plus la trace dans trois secondes que je n’en sentirai plus que l’absence dans deux et que je voudrai avoir oublié jusqu’à son existence dans une et même là l’oubli n’arrive pas
qu’est-ce que j’y peux.

Mais ça va.

Mon âme mes auras combien de temps encore aller vous essayer de vous lancer dans l’au-delà de vous, combien de temps encore allez-vous déployer votre lumière vers l’invisible
combien de temps.

Allez-y continuez s’il vous plaît je vous ai déjà libérés ne venez plus vers moi je n’ai plus de place déployez-vous dans l’univers qu’au moins une parcelle de vous rejoigne quelque chose de chaud quelque part et l’illumine

Allez, continuez.
Allez.

Mon âme ma chaleur mon amour naissant mourant profitez à d’autres je vous en prie
c’est le mieux que vous puissiez faire.

À par ça, moi, ça va.

Ça va pas mais ça va.

Moi.