Ah, la terrible question. Qui n’a pas eu envie de la poser des centaines de fois par jour, par mois, par année ?
Quand j’étais une jeune amoureuse, j’étais inquiète. Très inquiète. Et si mon amoureux ne m’aimait plus, soudainement ? Et si, quand il reposait près de moi après l’amour, il ne pensait pas à moi, mais à une autre ? Et s’il s’ennuyait ? Et s’il voulait partir ? Dans un pays étranger par exemple ?
J’étais, je le sais maintenant, une amoureuse ignorante, angoissée (qu’on se rassure, pas à toute heure du jour et de la nuit !), mais silencieuse. Je ne posais la question « À quoi tu penses ? » que si je me sentais bien, si je le sentais bien, si… Pas souvent, en somme.
Ce qui m’a rappelé la fichue question et sa charge angoissée de jadis, c’est que je l’ai posée l’autre jour à mon amoureux.
On finissait de manger, on n’avait pas beaucoup parlé, je le sentais ailleurs, je ne sais où, mais ailleurs. Il réfléchissait, ou il faisait des listes dans sa tête, ou…
« Où t’es rendu ? » que je lui ai demandé — ce qui signifie, vous l’admettrez, la même chose que le fatidique : À quoi tu penses ?
Il lui a fallu quelques secondes pour se ramener devant moi, au présent, et il m’a défilé une liste de dimensions diverses de clous et de vis qu’il devait se procurer, son inquiétude sur les épaisseurs de papier sablé et sur l’intensité des LED qu’il voulait acheter, quelques interrogations sur des fils d’ordinateur qui nous manquent, un questionnement sur les chargeurs de batteries 9 volts…
J’étais, moi, déjà ailleurs.
Finalement, je ne regrette pas d’être restée silencieuse à côté des jeunes amoureux de ma jeunesse. Quoique… je serais peut-être meilleure en menuiserie aujourd’hui, qui sait ?