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Adieu

Elle avait choisi une petite robe blanche, cadeau de sa mère, c’est d’ailleurs cette mère qui me le confiait pendant que, tous réunis sur la galerie, sa famille et nous, on la regardait parler à chacun, poser des questions, se lever péniblement pour enlacer quelqu’un, puis se rasseoir. Le temps était exceptionnellement beau pour octobre, on se serait cru en plein été, moins la lourdeur. Chaleur sans pesanteur, et un petit vent qui passait de temps en temps.

Elle avait mis cette petite robe blanche sans manches, et on pouvait voir que son sein gauche était nettement plus volumineux que son sein droit, qu’elle avait perdu du poids puisqu’elle flottait dedans et que même l’emmanchure de cette petite robe toute simple, droite, dont le tissu, passait du plus fin au plus épais en larges bandes, était un peu trop grande. Mais jolie, cette robe, sur la jolie Catrina.

La robe arrêtait un peu en haut des genoux, laissant découverts ses mollets encore musclés par les milliers de kilomètres de course, et on pouvait noter la douceur de sa peau couleur miel au sarrasin, sans taches de vieillesse ou de rousseur. 

Elle portait des sandales plates, confortables, c’est sa dernière-née qui les a portées par la suite, même si elles étaient trop petites, la fille dépassant la mère de plusieurs centimètres. Elle avait encore et toujours ce sourire lumineux, les deux incisives légèrement écartées, et les yeux brillants. De larmes, oui. Souvent. Puis avec le sourire. Puis avec le regard qui se posait sur chacun d’entre nous. Doucement. Affectueusement.

Puis il y a eu une femme qui jouait du violon. Et, pendant la mélodie sereine, elle a fait ses adieux.

Et puis après, Patrice son compagnon, l’a prise dans ses bras et l’a portée jusqu’au ruisseau. Depuis, il ne cesse de penser : « Je l’ai portée à sa mort, c’est moi qui l’ai amenée à sa mort » et il pleure. En se retenant, comme les hommes le font. Mais il pleure quand même.

Daniel et moi sommes restés sur la galerie, laissant la famille accompagner notre amie sur le bord du ruisseau, sous les arbres que Patrice a plantés, près du pont qu’il a construit. Les bleuetiers étaient rouges, le gazon était vert, si vert, et le ciel acheminait ses petits nuages insignifiants vers un autre ailleurs, à l’Ouest.

Nous sommes rentrés chez nous. Je ne sais plus ce que j’ai fait ces deux heures durant lesquelles la famille de Catrina est restée sur le bord du ruisseau pour l’accompagner dans la disparition de sa conscience si vive, de sa vie si courte. Je crois que j’ai pleuré. Je ne me souviens plus.

Puis, une fois le corps parti, nous sommes retournés sur la galerie pour les retrouver, eux la famille et nous, les voisins, et Catrina n’était plus là. Tout son monde a rapporté des aliments sur la galerie, sur la table, sous le parasol. Il faisait encore beau, encore chaud. Et on a mangé un peu, en pleurant, en riant, en ne retenant rien. Une sorte de célébration tendre, profondément compatissante jusque dans ses moindres pensées, humaine jusqu’à la bonté pure, jusqu’à l’émotion qui accepte d’être partagée, vue, assumée. Et cela était franchement exceptionnel.  Exceptionnellement douloureux et tendre. Un hommage douloureux à la vie qui passe, à nos vies qui passent. À Catrina qui n’est plus. Qui n’est plus.