Ces jours-ci, j’ai l’impression d’avoir 13 ans à nouveau. Pourquoi? Parce que je regarde des histoires d’amour à la télé. Parfaitement. Des histoires d’amour qui viennent de Corée qui sont distillées en 16 épisodes de plus d’une heure chacun, écrites et réalisées selon les standards du genre : joyeuses, émouvantes (généralement bien construites, au demeurant) et qui finissent bien, version coréenne de : ils se marièrent, eurent de l’argent et peu d’enfants.
Et pourtant, je sais ce qui suit l’union de deux personnes qui s’aiment. Ce n’est pas toujours la félicité, loin de là. Tenons déjà pour acquis que les deux amoureux restent fidèles l’un à l’autre, ce qui enlève déjà plusieurs chapitres au livre des malheurs et des désagréments qui pourraient leur tomber dessus. Mais il y a d’autres types de difficultés, au quotidien, qui mettent l’amour à rude épreuve. Par exemple – j’invente, là, j’invente, je ne parle jamais de ma vraie vie, hé oh! -: il n’aime pas le poisson alors qu’elle, oui, il n’aime pas être en retard alors qu’elle n’en a cure, il met le ménage dans son horaire alors qu’elle nettoie quand elle en a le temps, il marche alors qu’elle lit, fait du ski alors qu’elle nage, elle a peur de la violence, même à la télé, lui s’endort durant les suspenses, elle aime la musique, lui, des vidéos explicatifs sur les moteurs, lui aime se lever tard, elle tôt, et ainsi de suite. La vie, longue, permet d’observer cela et bien d’autre différences plus profondes, des incompatibilités, même, qui égratignent sérieusement l’image finale du dernier épisode de l’histoire d’amour. Ce n’est ni dramatique, ni tragique, juste déstabilisant. Pas trop. À condition de rester souple léger, ouvert.
Normalement, ce ne sont pas les difficultés passagères de la vie d’amoureux qui m’incitent à me précipiter sur les histoires d’amour. Sauf que, en ce moment, il y a la guerre en Ukraine, ça fait mal et je ne peux rien faire sauf envoyer des sous ; sauf que, en ce moment, on sort à peine, et peut-être pas non plus, d’une pandémie durant laquelle notre vie devait se vivre à l’intérieur de nos murs; sauf qu’il y a la famine au Yémen, dont personne ne parle plus; sauf que l’armée du Myanmar a mis 10 000 manifestants en prison depuis 3 mois, sans compter les personnes qu’elle a tuées; sauf que, plus on en sait sur les paradis fiscaux, plus on découvre que c’est une hydre à mille têtes que personne n’affronte, finalement, malgré les promesses; sauf que, bientôt, il n’y aura plus de tortues ni de requins ni de récifs de corail, ou si peu; sauf qu’il faudrait bien que le Canada se déniaise et impose sa souveraineté sur une partie de l’Arctique parce que Putin va tout gober et ainsi de suite. Ainsi de suite
Dans ces conditions, vous comprenez que n’importe qui, même les gens instruits et avisés (ce que je ne suis pas toujours, loin s’en faut) regardent de temps en temps des histoires d’amour qui finissent bien. Ça aide à atterrir sur un tout petit nuage au bout de sa journée avant de recommencer à affronter le malheur du monde le lendemain.