Ce matin, comme tous les matins, j’ouvre mes courriels et je reçois des invitations à signer des pétitions.
Toutes sortes de pétitions. Que je signe, en grande partie.
Ce matin, par exemple, il s’agit de demander au Botswana de ne pas réautoriser la chasse aux éléphants. En effet, le pays pense à offrir ses éléphants en pâture aux riches chasseurs de notre monde, pour les faire tuer – assassiner, en fait. Pas les chasseurs, les éléphants. Que ça doit être difficile à atteindre, une cible de cette grosseur, qui se promène au plus à 30 km heures, en bandes ! Quel exploit, non, pour les fils à papa pourris de ce monde !
Et pourquoi tuer des éléphants, je me le suis toujours demandé? Et d’ailleurs, pourquoi tuer les girafes, et les rhinocéros? Ça ne se mange pas, de l’éléphant, de la girafe, du rhinocéros, que je sache — à moins que je sois très mal renseignée. C’est un relent — puant — du colonialisme en Afrique.
Et je signe, en me disant que le Botswana n’a rien à foutre, d’une Québécoise qui vient se mêler de ses lois internes, de ses troupeaux d’éléphants qui dévastent la savane, de son besoin en argent… pour nourrir sa population, peut-être. Peut-être.
Il y a aussi une pétition qui demande la libération d’une femme qu’on a mise en prison, dans le New Jersey, pour avoir libéré un bébé ours de sa cage et lui avoir permis (c’était l’idée) de rejoindre sa maman. Donc, à présent, la femme est en cage et l’ours est en liberté. Ça a l’air gentil comme tout, un bébé ours, non? Mais savait-elle, cette femme, si l’ourson pouvait survivre sans les conseils et l’exemple de sa douce maman de 300 kilos? S’est-elle interrogée, cette femme de bonne volonté qui aime les animaux, à savoir si l’ourson n’allait pas devenir un de ces prédateurs de poubelles dans les parcs, là où, quand les poubelles sont vides, leur appétit les enjoint de s’attaquer aux humains? Je sais, j’exagère, mais, des fois, la libération des pauvres petits animaux qu’on met en cage comporte une part d’ignorance et de mièvrerie discernables au premier coup d’œil.
Celle-là, je ne l’ai pas signée. C’est vrai que les pouvoirs publics ne sont pas toujours efficaces et intelligents, mais je leur donne généralement le bénéfice du doute dans notre bonne Amérique du Nord.
Et puis, il y a les pétitions qui veulent sauver des baleines ou un dauphin abandonnés, encabanés au Japon, celles qui suggèrent fortement qu’on appuie la loi qui interdit l’importation d’ailerons de requins (celle-là, si je pouvais, je la signerais en double, en triple), et toutes ces demandes me prouvent, si je voulais l’oublier 24 heures, que l’humain est d’une cruauté et d’une avidité sans nom. Mortelles.
Et je signe.
Et il y a les autres pétitions qui visent à aider les défenseurs des droits indigènes, emprisonnés (ou allègrement assassinés) par leurs gouvernements, parce qu’ils ont essayé de défendre la forêt tropicale, leur habitat, contre les minières, les pétrolières, les compagnies fabricantes d’huile de palme, toutes ces compagnies qui n’hésitent pas une seconde à éliminer ceux qui ne sont pas des béni-oui-oui devant elles et refusent de se laisser exploiter et affamer.
Et je signe, en me demandant si ça donne quelque chose. Moi, qui suis un peu impliquée, je ne peux rien contre les Trudeau et les Trump de ce monde, qui n’ont rien à foutre des indigènes et des forêts et qui sont prêts à sacrifier des pans entiers de la planète pour permettre aux compagnies de faire du profit sur le dos des travailleurs en détruisant le vivant, fut-il végétal, animal ou humain.
Il y a aussi les pétitions qui demandent qu’on arrête de faire travailler les enfants dans les plantations de café, je signe, celles qui demandent à McDonald de ne plus utiliser de pailles en plastique et de produire moins de déchets (on pourrait pas lui demander de ne plus exister, plutôt?) et je signe, celles qui veulent qu’on donne des sous pour engager des scientifiques in-dé-pen-dants qui étudieraient enfin le glyphosate, je signe, mais ne donne pas, celles qui demandent qu’on arrête les chirurgies plastiques pour chats (je n’invente rien, je vous le jure), je ne signe pas, c’est trop con, celles qui proposent de signer une lettre ouverte au monde entier pour promouvoir l’égalité hommes-femmes (je ne sais si ça se rend en Arabie Saoudite) et je signe aux côtés de Bono et de Oprah et ça me fait une belle jambe, celles qui veulent qu’on plante de l’asclépiade pour préserver les quelques papillons monarque qui survivent aux pétrolières et aux pesticides de Monsanto et j’ai planté de l’asclépiade, celles qui demandent qu’on cesse d’abattre les loups, je ne signe pas toujours, ça dépend qui propose et où…
Et je signe, et je signe et je signe. Je pourrais signer toute la matinée, toute mes matinées.
Mais je choisis : les organisations qui ont bonne réputation, celles qui vivent des sous qu’on leur donne – les organisations québécoises en premier. Je me demande toujours si ça donne quelque chose, si je ne me fais pas avoir en mettant mon nom sur ces bonnes et belles causes. Peut-être qu’un jour, une multinationale décidera de faire un exemple et viendra m’accuser de parti-pris pour le vivant, d’ignorance des lois du marché, de discours tendancieux. On ne sait jamais.
Et attendant je signe. Sans fatigue mais sans espoir.
Il arrive qu’un site nous envoie de bonnes nouvelles (« 100 tortues sauvées sur l’île x », « 3 dauphins ont regagné le large », « un homme est sorti de prison »), j’apprécie, mais c’est trop peu. J’aimerais que les indigènes lancent des flèches empoisonnées sur ceux qui les affament, que les baleines attaquent les chalutiers qui les déciment, que les singes lèvent des armées… Mais un Trump destitué serait remplacé par Pence, et un Trudeau défait serait remplacé par Sheer. Perspectives à peine moins décourageante.
À ce rythme, il y aura des pétitions jusqu’à ce que le monde croule sous les déchets, ou meure de chaleur et de faim, les dernières baleines échouées sur les côtes d’une Gaspésie dont il ne va rester que les plus hauts sommets.