J’attends. Je suis assise dans la salle d’attente d’un hôpital et j’attends. Les chaises sont toutes occupées par des gens qui attendent, et j’attends moi aussi.
Un vieil homme courbé se promène avec une poubelle, en respirant fort, mal. Je crois qu’il a envie de vomir. Je comprends ceux qui veulent mourir chez eux, ils évitent les poubelles ambulantes et les crachats sonores.
Dans cette salle, deux jeunes femmes attendent aussi. Légères. Elles rigolent, elles lisent. L’une verra un médecin, l’autre l’accompagne, ce n’est rien de grave. Rien du tout. Même ici, elles édifient leur vie. Cette salle n’est qu’un détour rapide sur leur chemin. Pour moi, c’est une destination.
Et, je ne sais si c’est à cause du lieu ou de mon état, mais j’ai l’impression que ma vie s’effrite. Auparavant, mes rêves, mes perceptions formaient un dessin clair, aux lignes fermes qui s’élevaient en lignes droites ou spiralées, qui formaient une image à multiples profondeurs, à multiples mouvements, continus pour la plupart. Mais à présent, ici, maintenant, ce dessin s’émiette. Je n’arrive plus à le voir, à le remettre en place, à en faire adhérer les parcelles. Et ma vie perd son but, ses buts. D’où la pensée qu’il est inutile désormais de vouloir apprendre, faire des projets, entreprendre de nouvelles amitiés, de nouvelles amours, de nouvelles relations. Je n’aurai pas, je n’aurai plus le temps.
Quand on est vieux, il me semble qu’on a moins de valeur. Qu’on est jetables ; que, comme de vieux draps, on achève notre vie utile. Vie utile. Vie utile. Moi qui ai toujours voulu être utile, je comprends pourquoi j’ai du mal à accepter la vieillesse qui vient. Je ne saurai pas quoi faire de moi quand je serai devenue totalement inutile. Quand on est inutile, on doit disparaître, il me semble. Je suppose que, si je me rends là, le travail que j’aurai à faire sera de l’accepter. Accepter cette extrémité de la vie, comme l’autre. On était totalement inutiles, aussi, quand on était bébé. Dépendants des autres, totalement dépendants. Totalement dépendants.
Dans cette salle où j’attends, une femme tousse pour cracher le mucus épais qu’elle a au fond de la gorge, et ma vie s’effrite. Je crois que, si je deviens vraiment malade, je prendrai de la morphine pour mourir rapidement et sans douleur.
Mais quand je ne pense pas à la vieillesse, je n’ai aucun mal à l’accepter parce que je ne la sens pas, même si je la vois dans les yeux des autres. Quand on dort, on dort, c’est sans conscience. Et sans mal.
Il ne faut pas rester trop longtemps dans les salles d’attente des hôpitaux. La vie s’y effrite trop vite.