Il est si grand que j’ai le cou cassé quand je le regarde dans les yeux, il parle bas, en hésitant, d’une voix, d’une énergie retenues. Il bégaie un peu, mais on retient son souffle pour l’écouter jusqu’au bout de ses phrases. C’est qu’il parle d’orchidées. D’orchidées, tout le temps.
Chez lui, il en a pas moins de 20 000. Minuscules, petites, moyennes, moyennement grosses, très grosses, très rares, rares et moins rares, qui viennent du Brésil, du Pérou, du Mexique, mais surtout du Costa Rica. Il y en a 1400 espèces dans ce pays-ci. 1400 ! – Mon amoureux pense qu’il va devoir agrandir le toit ombragé sous lequel je mets les miennes. Il considère qu’à quelque cinquante plants, je suis loin du nombre de fleurs que je voudrai avoir, faire fleurir, admirer, connaître. Mais cela est une autre histoire.
L’homme-orchidées, cet Allemand égaré au Costa Rica, qui parle espagnol, allemand et anglais – mieux espagnol qu’anglais d’ailleurs -, cultive des orchidées chez lui, les divise, les installe, les vend, mais en a toujours de plus en plus. Chaque fois que je vais chez lui, il a une nouvelle serre, un nouvel espace pour en mettre de plus petites, de plus grosses, de nouvelles variétés issues de croisements volontaires ou non, d’autres, plus, encore plus. Il est atteint d’orchidomanie, une maladie aussi rare que contagieuse.
Et il vous identifie les plants et les fleurs en latin, et il invente des noms latins pour ses nouveaux croisements. Et il essaie de vendre. Je ne sais si ses affaires vont bien, je sais seulement que, quand on achète, il est très gentil, si gentil qu’il vous en donne une en cadeau, qu’il vous écrit les noms parce que vous voulez les apprendre (quelle tâche impossible) et que, le bouquet — c’est le cas de le dire —, c’est qu’il vient les installer chez vous en les accrochant aux arbres de votre environnement.
Mon amoureux peut se calmer, au nombre d’arbres que nous avons ici, il n’aura pas besoin de me construire un nouvel espace à orchidées, il n’aura qu’à me procurer des échelles pour que je puisse les installer à la même hauteur à laquelle l’allemand les installe. Et je serai heureuse.
Photos : C. Gingras