Durant la nuit, hier, mon amoureux dormait à côté de moi, et je me suis soudain rendu compte de tout ce que son organisme de quelque 100 kilos contenait de données, grouillait de connaissances, retenait d’histoire personnelle. Un père moustachu et volage, une mère habile, divorcée et contrôlante, une sœur handicapée, des dizaines de meubles décapés, des centaines de boîtes de déménagement, des spectacles par milliers, des mathématiques, des connexions électriques et électroniques, les lettres et les chiffres de programmes d’ordinateurs, plusieurs négociations syndicales, l’analyse de relations patronales et de comportement de camarades syndiqués, l’analyse de comportement des camarades au travail, l’apprentissage au travail, la soudure, les projecteurs à installer, à enlever, à ranger, à sortir, à installer de nouveau, les machines à boucane, les décors sur roulettes qu’il faut amarrer en quelques secondes, la sécurité derrière le rideau, la frénésie derrière le rideau, la recette du sucre à la crème et du nougat, les danseurs qui se précipitent sur le sucre à la crème et le nougat, sans compter l’étonnement devant les femmes, les plantes, un jardin, un chien entêté et la façon d’amadouer un chien entêté, un jardin, les plantes, mais pas trop les femmes, savoir réparer la serrure d’une voiture, recommencer parce qu’on s’est trompé, choisir le fromage et le dessert, aimer la truite, mais pas la pêche, aimer le chevreuil, mais pas la chasse… – je pourrais continuer longtemps, longtemps, mon énumération et je n’aurais pas touché la moitié de ce que ce corps de quelque 100 kilos à côté de moi enferme de connaissances, d’expériences et d’apprentissages. Ce corps poilu, barbu qui, pour l’instant, enfoui sous une couverture vert tendre bordée d’un frison qui lui chatouille le nez, ronfle de bonheur en prenant un repos bien mérité.