Ici, à Alfombra, il faut réparer les routes souvent, à cause de la saison des pluies; c’est d’ailleurs commun à tout le Costa Rica. Pour ce faire, la municipalité donne un peu d’argent, mais les villageois doivent contribuer. Pas facile. L’électricité leur coûte le double de ce que nous payons au Québec, et leurs salaires sont entre 5 et 10 fois moins élevés; cela vous donne une idée de l’argent disponible dans les communautés. Tout près du zéro. Très près.
En plus, cette année, le projet de réfection est plus gros qu’à l’habitude. Non seulement on veut remettre toute la route en état, mais aussi en paver des bouts. Il faut donc une somme au moins trois fois supérieure à celle qui est dépensée habituellement. Quelque 3000,00 $ = 1,500,000 colones
Pour trouver l’argent qui manque, les villageois ont eu une idée : profitant du fait qu’il y a une fête de taureaux qui dure 4 jours, au début mars, à San cristobal (le village voisin, aussi partie au projet) ils ont décidé de devenir restaurateurs sur les lieux de la fête. Combien pensent-ils avoir de clients? Quel montant réussiront-nous à amasser? Personne n’en sait rien, parce que personne n’a encore tenté l’expérience. La chose se complique du fait que, pour faire de l’argent, il faut d’abord acheter les denrées de base et louer la cuisine sur les lieux de la fête (700$ pour 4 jours). Quand on sait qu’un repas se vendra aux alentours de 4$, on peut apprécier le nombre qu’il faudra servir pour payer seulement la location de la cuisine !
Ça, c’est le projet.
Pour le réaliser, ça ne va pas tout seul. Par exemple, avant de vendre la nourriture, il faut la préparer. Dire qu’ils ont du courage, ces gens-là est peu dire. Voyez un peu.
La cuisine communautaire attenant à l’arène est grande comme une (petite) église, et peut être utilisée comme celle d’un véritable restaurant. Elle a des comptoirs, des lavabos (qui manquent d’eau des journées entières, ça arrive, je l’ai vécu) un grand poêle au gaz et, au fond, presque dehors, un immense poêle à bois.
Comme base de notre menu, les « tamales » (prononcer ta-ma-lès) sorte de pâté de maïs, riz, légumes et viande, enveloppé dans des feuilles de banane et cuit à l’eau bouillante. Il faut préparer d’abord la pâte de maïs, la faire cuire, puis cuire et assaisoner le riz ; même chose avec la viande, qu’on aura coupée en carrés de 1 ou 2 po. Les feuilles de bananier, elles, sont passées au dessus de la flamme pour les amollir, essuyées avec un linge humide, puis coupées en morceaux de 2 tailles; il faut un grand et un petit morceau, ce dernier s’installant sur le grand pour recevoir la pâte de maïs et le reste. Pas simple.
Mais, en trois jours, nous avons fait 900 tamales. 900 ! Sans compter la ceviche de bananes, le piccadillo de papaye, celui de cœur de palmier, le bœuf et le porc en sauce, le porc et le poulet grillés, les patates assaisonnées et le riz blanc. À certains moments, nous étions 20 personnes dans la cuisine. Et ça, c’est seulement pour les tamales…
Mon amoureux et moi, qui voulions participer de près à ce projet, étions les seuls étrangers dans la cuisine. Tous les autres volontaires étaient costariciens (ils aiment qu’on les appelle les Ticos, les Ticas), hommes et femmes de tous âges. Ce sont les femmes qui cuisinaient, bien sûr, mais les hommes préparaient les aliments, transportaient les denrées, entretenaient le feu, lavaient la vaisselle et le plancher et allaient préparer et dégarnir les tables, entre autres.
Le premier jour, il y avait une jeune femme avec son bébé au sein. Elle est revenue le 2e jour, sans son bébé, puis on ne l’a plus revue. Il y avait des femmes dont les enfants ont quitté la maison, d’autres qui partaient à 13h pour aller récupérer les leurs à l’école. Il y avait aussi deux dames âgées (sans parler de moi) aussi constantes et engagées que les plus jeunes, qui, pas une seconde, ne se sont plaint de la chaleur ou de la fatigue. Et tout ce beau monde coupait, brassait, mélangeait, rinçait et assaisonnait de façon efficace, ordonnée. On aurait dit que la coordination allait de soi, puisque je ne voyais personne ni donner des ordres, ni en recevoir. Les femmes savaient quoi faire, et elles le faisaient. Vite, bien, avec le sourire.
Les Ticos n’ont peut-être pas d’argent à fournir pour les projets de réfection de routes, contrairement à nous les « gringos », mais ils donnent amplement de leur force de travail. Amplement. Sans ceux et celles qui ont travaillé dans cette cuisine durant ces jours, il n’y aurait pas de réparations de routes. Ils étaient d’ailleurs tout étonnées qu’on soit là, mon amoureux et moi, à couper des légumes, à laver la vaisselle, à prendre notre place dans la file de gens qu’il faut pour préparer les tamales.
lls n’ont pas cessé d’être surpris, parce que nous y sommes allés même le dernier jour, celui où on décrotte les chaudrons, où on sort les vidanges et lave le plancher à grande eau. Pas toute la journée, bien sûr. Trois ou quatre heures de travail par cette chaleur (n’oubliez pas le poêle à gaz et le feu de bois…) nous lavaient littéralement de notre énergie. Eux aussi, sans doute. Il ne faut pas penser qu’ils ne souffrent pas de la chaleur. Mais eux, ils restaient, pour la plupart, jusque dans la nuit, pour servir au comptoir.
Au bout de 3 jours de fête, nous n’avions plus ni tamales, ni porc ni bœuf à vendre. Il restait un peu de poulet, qui est parti comme l’éclair. Le 4e jour, il ne restait rien. Rien de rien. On avait tout vendu. Faut dire que le menu était délicieux.
Je ne sais pas encore combien l‘opération a rapporté. Mais c’est tout de même inouï de voir des gens qui donnent tant de leur temps, de leur énergie, de leur savoir, pour participer à un projet communautaire. Je suppose que le Québec d’avant les années 50 ressemblait à ça, dans les campagnes; j’ai entendu parler des corvées pour faire des maisons et des granges, par exemple. Ça s’est perdu avec le temps, avec l’argent aussi, peut-être.
Peut-être.